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Les 3 pièges de la lutte contre l’antisémitisme

Pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale, des slogans antisémites ont été entendus dans les rues de Paris à plusieurs reprises : ils l’ont été lors de la manifestation “jour de colère” en Janvier 2014, où des manifestants ont scandé “Juif, la France n’est pas à toi !” voire parfois simplement scandé “juif ! juif ! juif !” comme si le simple énoncé du substantif portait revendication. Ils l’ont été en marge de certaines des manifestations de soutien aux palestiniens du mois de juillet, où des cris de “mort aux juifs !” ont été scandés et des synagogues attaquées à Paris et à Sarcelles.

Certains avaient déjà remarqué que lors d’une manifestation islamiste interdite, Place de la Concorde, en Septembre 2012 , les participants avaient scandé “Khaybar ya yahud !” (juifs, souvenez vous de Khaybar !) en référence à la bataille de Khaybar, où Mahomet avait vaincu des tribus juives proches de Médine, avant de les soumettre au statut de “dhimmi”. La dhimmitude est un statut d’infériorité humiliant, octroyé par l’Islam aux juifs et aux chrétiens : au prix du paiement d’un tribut élevé et de règles discriminatoires et dégradantes, juifs et chrétiens se voyaient accorder la vie sauve, et restaient “tolérés” en terre d’islam. Ce statut était, aux débuts de l’Islam, un statut de protection très relative, mais qui n’a empêché, même au cours de l’histoire récente, ni persécutions ni massacres, comme le sort des chrétiens d’Irak en témoigne encore de façon éclatante aujourd’hui. Parmi les nombreuses obligations dégradantes auxquelles étaient soumis les dhimmis, telles que le port de signes distinctifs, l’interdiction d’exercer certains métiers, de chevaucher un cheval, de porter des armes, l’interdiction de construire des lieux de culte ou l’interdiction du prosélytisme, il y avait également l’interdiction d’élever la voix lors de cérémonies publiques.

Face à la résurgence d’un antisémitisme contemporain à visage découvert, trois réactions ont été à la fois fréquentes et choquantes.

  • La première, c’est la minimisation : il ne s’agirait là que de révolte “anti-système” de jeunes désocialisés issus d’un lumpen-prolétariat en quelque sorte désorienté et dont la cause serait bien plus sociale que politique ou culturelle. Il n’y aurait pas là de quoi s’inquiéter et les préoccupations des juifs de France témoigneraient d’une peur irrationnelle et excessive, alors que les enquêtes d’opinion révèlent le recul assez régulier des préjugés antisémites dans la société française. Il faut pourtant rappeler ici que les actes antisémites ont précédé les mots et que cet antisémitisme est déjà assassin : le meurtre d’Ilan Halimi en 2005, est bien un meurtre aux motivations clairement antisémites. L’assassinat d’enfants, à l’école Ozar Hatorah de Toulouse est également un assassinat antisémite. Faudra-t-il attendre un véritable pogrom pour prendre conscience de la gravité du problème ? A ceux qui seraient tentés de minimiser l’importance du phénomène, on peut conseiller de tenter l’expérience suivante : mettre une kippa blanche sur la tête et circuler dans le métro parisien un samedi soir dans les zones d’affluence.
  • La seconde réaction est celle du refoulement, qui déplore “l’importation sur notre sol du conflit israélo-palestinien” et fait semblant de considérer qu’il n’y a rien qui concerne directement la société française. On n’est pas loin des “français innocents” dont parlait Raymond Barre en évoquant les victimes de l’attentat de la rue Copernic. Cette position est immorale, car elle renvoie dos-à-dos antisémites et juifs, comme le pion d’une cour de récréation séparant deux élèves agités en venant aux mains, qui ne veut pas savoir qui a commencé. Elle méconnait l’asymétrie de la situation : la jeunesse juive n’attaque pas des mosquées et ne scande pas des slogans racistes dans les rues. Mais elle est également illusoire et dangereuse car elle méconnait l’agression menée contre la société française toute entière : quand, à l’issue de la manifestation propalestinienne qui s’est tenue à Barbès, les casseurs tentèrent de pénétrer dans l’Hôpital Lariboisière pour le saccager en prétextant qu’il s’agissait d’un hôpital “sioniste”, on était bien loin du conflit israélo-palestinien, on était en pleine émeute et c’est bien la société toute entière qui était visée et non plus Israël, et si Mohamed Merah a assassiné des enfants parce qu’ils étaient juifs, il avait préalablement assassiné de jeunes hommes parce qu’ils étaient des militaires français en uniforme.
  • La troisième réaction, c’est l’explication culpabilisante : c’est parce que les juifs de France seraient trop solidaires du gouvernement israélien qu’ils créent ou entretiennent l’antisémitisme. Il serait alors bon qu’ils se dissocient d’Israël et manifestent un soutien bruyant aux palestiniens s’ils veulent éviter d’entretenir dans l’esprit des jeunes de banlieue l’équation simpliste “Juif = Sioniste”. On a même vu un élu vert (certes, immédiatement désavoué par son parti) soutenir que “quand les synagogues se comportent comme des ambassades, il n’est pas étonnant qu’elles subissent les mêmes attaques”.

Cette position est à la fois erronée, scandaleuse et immorale. Erronée parce que, bien que la communauté juive de France organisée soit très majoritairement solidaire d’Israël, au delà des nuances politiques très variées qui la traversent, il y a une très grande diversité d’opinions au sein de la communauté juive dans son soutien aux divers gouvernements de l’état d’Israël. Il existe des juifs qui ont manifesté de façon individuelle ou organisée leur opposition à Israël et leur soutien à la cause palestinienne. Des organisations juives pro-palestiniennes participent régulièrement aux manifestations contre Israël, et de façon très voyante. Cela n’empêche en rien l’expression antisémite. Scandaleuse, parce qu’en réalité, on voit bien que l’antisémitisme qui s’exprime aujourd’hui au grand jour n’a guère besoin d’excuse pour être mortifère. L’assassin Mohamed Mérah n’a pas interrogé les enfants ou les militaires qu’il a assassinés d’une balle dans la tête pour connaître préalablement leur avis sur la situation à Gaza ou à Jérusalem. L’antisémitisme qui s’exprime aujourd’hui de façon massive et primaire sur les réseaux sociaux, sur internet et, désormais, dans la rue, n’a guère besoin d’excuse et ne connaît pas de nuance. Immorale parce qu’elle revient à rendre le comportement des juifs responsable de l’antisémitisme. De victimes, les voici coupables de la persécution qui les vise. Or, le combat contre le racisme et l’antisémitisme ne souffre d’aucune restriction, d’aucune limite et d’aucune excuse. Quand bien même, tous les juifs seraient des partisans du Grand Israël (et on en est loin), cela ne justifierait ni n’excuserait en rien l’antisémitisme. Ceux qui souhaiteraient que les juifs de France retrouvent un statut de “protégés” ou de “tolérés”, proche de la dhimmitude, qu’ils fassent profil bas proposent une stratégie à la fois lâche et imbécile.

Jorge Luis Borges racontait avoir participé un jour à Buenos-Aires à la réunion d’une association argentine de lutte contre l’antisémitisme, mais l’avoir quittée lorsqu’il avait réalisé que la salle n’était pleine que de juifs. L’antisémitisme n’est en effet pas l’affaire (que) des juifs mais c’est la société toute entière attaquée qui doit lui faire face.

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Directeur de l’Unité de Soins Intensifs Cardiologiques au CHU Bichat

 

Publication: Mis à jour:

Huffington Post

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