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Dieudonné, un pas de plus dans l’abjection

Le Point.fr est allé voir “La Bête immonde”, son nouveau spectacle. Devant un public conquis, le comédien a déversé sa haine sur les Juifs. Affligeant.

Dieudonné continue à faire salle comble avec son nouveau spectacle, "La Bête immonde"
Dieudonné continue à faire salle comble avec son nouveau spectacle, “La Bête immonde” PATRICK KOVARIK / AFP

 

Nicolas Guégan et Olivier Pérou

 

Les fans de Dieudonné se pressent en nombre au théâtre de la Main d’or, le fief parisien du comédien. La Bête immonde, son nouveau spectacle, affiche complet. Les vigiles peinent à refouler les malheureux venus sans réservation. Avant de pénétrer dans la salle, le spectateur est invité à se délecter d’un cocktail Chaud Ananas, la spécialité de la maison. Un hommage à Shoahnanas, une chanson que Dieudonné avait pour habitude d’entonner à la fin de son dernier one-man-show. “Valls va encore tout essayer pour le faire interdire”, s’inquiète une jolie brune aux cheveux bouclés. D’autres enragent à l’idée que leur idole puisse être expulsée du théâtre qu’il occupe depuis quinze ans.

Assis sur une même rangée, un petit groupe s’amuse à débusquer les “Juifs venus en espions”. Les journalistes sont eux aussi au centre de toutes les attentions. “Une table de massage” leur a été spécialement réservée par les cerbères du comédien. “Pour leur casser la gueule”, renchérissent les plus excités. Dieudonné a un talent. Celui de réunir toutes les couches de la population. Des jeunes de banlieue se mêlent à des jeunes des beaux quartiers. Des femmes voilées se mélangent à des femmes plus légèrement vêtues. Tous sont venus pour la même chose : rire de tout, mais surtout des Juifs. 

“On va même déterrer Ilan Halimi”
Sous un tonnerre d’applaudissements, Dieudonné apparaît sur scène. Il n’a pas encore ouvert la bouche que des rires gras résonnent déjà dans la salle. Des fers aux pieds, il est vêtu de la tenue des prisonniers de Guantánamo. Sauf que sur la sienne le mot “quenelle” remplace le matricule. La bête immonde, c’est lui. Et il ne s’en cache pas. Le comédien renoue immédiatement avec son fonds de commerce : la haine des Juifs. Dès les premières secondes, Dieudonné évoque Hitler et les chambres à gaz. De quoi régaler ses fans qui se gondolent avant même qu’il ne finisse ses phrases.

Le défilé de propos haineux ne fait que commencer. Saisissant la réplique d’un fusil d’assaut, “le parfait instrument de la haine”, il fait mine de tirer dans le public. Et de se prendre à imaginer : “Si par malheur, je dégomme un journaliste, de surcroît juif, ça serait grave. Là, on ré-ouvre le procès de Nuremberg. On va même déterrer Ilan Halimi. Et ils vont retrouver mon ADN dans son trou du cul.” Les quelques cris de dégoût ne parviennent pas à masquer l’hilarité générale. S’ensuivent des piques adressées à François Hollande et à sa politique progressiste… Porté par son public, Dieudonné ne peut pas s’empêcher d’en revenir aux Juifs. Patrick Cohen, le journaliste de France Inter, est une nouvelle fois la cible de ses railleries. Mais Dieudonné ne regrette plus la disparition des chambres à gaz. Le Conseil d’État étant passé par là.

“Le mémorial de la Shoah, chez les Indiens, c’est Disney Village”
Dieudonné s’attaque dans la foulée au commerce triangulaire. “Une spécialité juive” comme peut l’être le “dressage des otaries chez les Inuits”. Se glissant dans la peau d’un esclave, un ancêtre de Nicolas Anelka, il ne cesse de souligner “le rôle des Juifs dans la traite négrière”. L’agitateur n’a plus peur d’être accusé d’antisémitisme. Il confesse même “y prendre du plaisir”. Les spectateurs approuvent bruyamment. “Contrairement à son homologue nazi, l’esclavagiste juif a très bien géré l’après-génocide. Il s’en est très bien sorti. Pas de procès. Même pas une amende à 35 euros. La Légion d’honneur ! C’est le concept du génocide sans conséquence”, affirme-t-il. Ses fans se marrent. L’un d’eux manquerait presque de s’étouffer. Dieudonné exulte. Consternant.

En avocat du devoir de mémoire, Dieudonné déplore que les livres d’histoire ne consacrent pas une ligne au génocide indien. “Le mémorial de la Shoah chez les Indiens, c’est Disney Village”, avance-t-il. Sûr de son effet de style, il compare le chapeau de cow-boy au brassard nazi. “Au niveau mise en scène, les Américains, c’est autre chose que le tas de godasses à Birkenau”, argue-t-il. Et toujours avec ce même sourire aux lèvres, il place Auschwitz et le parc Astérix dans le même panier. Pour le plus grand plaisir de son public. 

La haine des homosexuelsLa victoire à l’Eurovision de Conchita Wurst ne lui a pas fait plaisir. À l’entendre, c’est le signe que “l’hétérosexualité arrive à son terme”. Pour les besoins de sa tribune de la haine, Dieudonné se projette en 2050. Devenu présentateur d’une émission subtilement intitulée “Fous-lui tout ce que tu as dans le cul”, il convoque ses invités fictifs : Marion, une étudiante québécoise, qui s’est mariée à un porc breton de 150 kilos ; et Cocorica, une transsexuelle qui s’est fait greffer des ovaires de poule. Mais n’allez pas dire à Dieudonné qu’il est homophobe. Comme il se plaît à le rappeler, il a assisté au premier mariage homosexuel organisé dans une prison. L’union de deux tueurs en série. Encore ces mêmes rires gras.

Dans l’un de ses derniers sketches, Dieudonné rend un vibrant hommage à Claude Nougaro. En pastichant les plus grands tubes du chanteur toulousain, il fait preuve d’un certain talent. Ce qui ne semble pas être l’avis de son auditoire. Ce dernier est comme perdu. Les rires se font rares. “C’est qui, Claude Nougaro ?” s’interroge une jeune femme. Heureusement pour elle, Dieudonné conclut son “spectacle” avec son nouveau tube : l’Hymne de la quenelle. La voilà qui retrouve le sourire.

Le Point, 1er juillet 2014

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