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Un sondage sur les juifs fait des vagues

– «Pensez-vous que les juifs influencent trop les politiciens?» Interrogée pour une enquête, une élue pulliérane s’indigne Marie Nicollier. Annie Mumenthaler a répondu à toutes les questions posées «pour voir jusqu’où ils pouvaient aller dans l’ignominie. Je n’ai pas été déçue. »

Le 16 août, cette conseillère communale de Pully est invitée par téléphone à participer à un sondage pour le moins étonnant. Elle prend note des questions qui lui sont posées. Echantillon: «Avez-vous une opinion très favorable, favorable ou défavorable sur les juifs?» – «A combien estimez-vous le nombre de juifs en Suisse en pourcentage de la population?» – «Trouvez-vous qu’ils sont omniprésents à des postes- clés dans la finance? A des postes- clés dans l’économie? Qu’ils ont trop d’influence auprès de la politique américaine et du président Barack Obama? Que les juifs influencent trop les politiciens de votre pays?» – «Pensez-vous que les juifs s’estiment supérieurs aux autres?» – «Les juifs sont-ils très solidaires entre eux et ne défendent-ils que leurs intérêts?»

Enquête interrompue

«J’étais choquée, s’indigne l’élue UDC. C’est tout à fait scandaleux, ignoble et raciste. » C’est Demo- SCOPE, troisième institut de sondage le plus important du pays, qui mène depuis une semaine en Suisse cette enquête d’opinion d’ampleur internationale. DemoSCOPE travaille pour le compte d’un institut de sondage allemand, lui-même mandaté par un institut canadien. En bout de chaîne: un client canadien dont le patron de DemoSCOPE ignore l’identité. «Cela n’a rien d’exceptionnel de ne pas communiquer le nom du commanditaire, précise Roland Huber. Le divulguer avant les résultats du sondage pourrait biaiser les réponses. »

Ce dernier a brutalement interrompu l’enquête lundi après avoir eu vent d’une série de réclamations similaires à celle d’Annie Mumenthaler. «J’ai lu le questionnaire et je dois dire que je l’ai trouvé très spécial, réagit Roland Huber. Les questions sont orientées; elles ne donnent pas toujours l’occasion de répondre librement. »

Qui se cache derrière ces appels? Le professionnel penche pour une université ou un organisme. «C’est très souvent le cas avec ce type de questions. Nous avons fait des études similaires sur les musulmans avec l’Université de Genève. Je ne peux pas m’imaginer qu’il s’agisse d’intérêts privés. »

Antoine Reymond, lui, l’imagine fort bien. La teneur du sondage laisse sans voix le président de la section vaudoise de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA). «C’est absolument choquant! Les libellés rappellent sinistrement les affiches posées en France pendant l’Occupation. On est dans la caricature absolue reprenant tous les poncifs antisémites comme «les juifs sont partout, ils maîtrisent le monde et ne s’intéressent qu’à l’argent». Sans compter que les questions sont biaisées. Ne risquent de répondre que les gens qui adhèrent à ces idées. »

Autre son de cloche du côté de la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation (CICAD), chargée de recenser les actes antisémites en Suisse romande. Son secrétaire général, Johanne Gurfinkiel, a déjà vu des questionnaires semblables, initiés par l’Anti-Defamation League aux Etats-Unis ou encore la Commission fédérale contre le racisme. «Evidemment, il faudrait connaître l’identité du commanditaire et son objectif pour avoir le fin mot de l’histoire. Mais, dans ces sondages similaires, il s’agissait de poser des questions volontairement provocatrices et fermées pour savoir ce que la population pense réellement d’une minorité, dégager des enseignements et optimiser la sensibilisation. »

La CICAD s’appuie d’ailleurs parfois sur ce type d’enquête pour mesurer l’évolution de l’antisémitisme. «Je comprends que cette dame ait été choquée par ces questions et c’est plutôt bon signe, ajoute Johanne Gurfinkiel. Mais, pour disposer de statistiques et découvrir ce que pensent vraiment les gens, un tel sondage peut être un outil intéressant. Il relaie certes les stéréotypes, mais permet aussi de savoir s’ils perdurent dans notre société. Puis d’alerter les politiques et de prendre des dispositions. »

Pour Antoine Reymond, le problème est ailleurs: le simple fait de poser ces questions participerait au maintien des stéréotypes. «Il y a cette idée que, puisqu’on pose la question, cela doit être relativement vrai. Que puisque des gens le pensent, il est légitime de le penser aussi. »

24 Heures (Suisse), Jeudi 22 août 2013

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