Depuis le 9 janvier, des milliers de destins bouleversés – Audition de Noémie Madar, Présidente de l’UEJF

M. Le Président, 

Je m’appelle Noemie Madar, et je suis présidente de l’Union des Etudiants Juifs de France. 

Je me présente devant vous, avec respect et humilité, en pensant fort à Yoav Hattab, à François-Michel Saada, Yohan Cohen et Philippe Braham.
Je pense également aux victimes et à leurs proches qui témoignent depuis plusieurs jours. Je pense à Avishay, à Elisa, qui me sont chers.
Je pense à chacun d’eux, qui avec courage et force ont accepté de témoigner devant vous, pour demander à ce que justice soit faite.

Je ne suis ni victime, ni famille de victime, ni proche de victime. Je suis présidente de l’Union des Etudiants Juifs de France, organisation fondée en 1944 par des résistants juifs qui avaient pour première vocation de redonner aux rescapés revenus des camps « L’amour de la France ». Alors, depuis 1944, nous travaillons chaque jour et nous combattons depuis plusieurs décennies contre le racisme et l’antisémitisme. Et c’est pour cette raison, sur ces chefs d’accusation, que je témoigne aujourd’hui devant vous au nom de l’UEJF. 

Ce samedi 10 janvier 2015 au matin, juifs français partout en France, pratiquants ou non, nous sommes réveillés avec cette sensation terrible d’être désormais des cibles potentielles. Parce que juifs, en France, nos vies étaient désormais menacées. 

J’aimerais donc, vous parler des destins bouleversés, de ces milliers de juifs qui ont vu leur vie basculée après ce terrible 9 janvier. 

Dans les écoles, pour les enfants de 3 à 18 ans, le quotidien après ce 9 janvier était désormais celui de la peur et de l’insécurité. Ces enfants, ces élèves se sont habitués à saluer les militaires armés en arrivant le matin, à ouvrir leur sac, à être filmés par les dizaines de caméras de surveillance et aux vitres teintées cachant l’intérieur des établissements. 

Tout ça, parce que juifs, tout ça, car nous étions désormais des cibles. 

J’aimerais vous parler également des lycéens que j’ai rencontrés à cette période là. Dans ces écoles, dans les établissements juifs partout en France, les élèves de Terminale ont vu également leur vie bouleversée. En juin 2015, et les années qui ont suivi, à l’heure des choix d’orientation, pour la plupart d’entre eux, la seule solution qui se présentait était celle de quitter la France pour partir en Israel. Car, lorsqu’ils avaient à réfléchir leur avenir, il était impossible pour eux de s’imaginer en sécurité en France, impossible d’envisager construire un avenir serein et sans crainte dans la République française. 

J’aimerais aussi vous parler de l’école juive de Montrouge, que nous avons abordée la semaine dernière lors des auditions des proches de Clarissa Jean-Philippe. Car à Montrouge, c’est la journée du 8 janvier qui a fait basculer à jamais leur destin. Tous les ans, la communauté juive de Montrouge organise un diner à la mémoire de la policière assassinée ce jour là. Car, pour les parents d’élèves, ce 8 janvier 2015, Clarissa Jean-Philippe a sans aucun doute, en se trouvant sur le chemin d’Amedy Coulibaly, sauvé la vie de leurs enfants. 

Alors voilà, depuis ce 9 janvier 2015 et dès mars 2012 et les attentats contre l’école juive de Toulouse, nous avons pris l’habitude d’être des cibles potentielles. 

Parfois, et après cinq ans, là où j’aimerais me dire que cela va mieux et que les choses ont un peu changé, je suis ramenée à la triste réalité.
Je pense alors à Kippour dernier, plus de 5 ans après les attentats. Alors que nous ne pouvions pas communiquer, un sentiment commun, traversa l’ensemble des communautés juives partout en France.
« Où sont les policiers? Où sont les militaires? » Alors que l’opération Sentinelle s’est achevée quelques mois plus tôt, la sécurité devant les lieux de cultes a fortement diminué, et nous nous sentions tous, ou presque, en danger en cette journée de Kippour. Car habitués à être des potentielles cibles, cette absence de police et de militaires nous inquiétait plus que tout. A la fin de Kippour, je redoutais de rallumer mon téléphone et de recevoir une alerte indiquant une attaque. Malheureusement, cela n’a pas manqué. « Tentative d’attentats contre la synagogue de Halle en Allemagne en ce jour de Kippour ». J’en ai des frissons.  A quelques kilomètres de la frontière française, ce sentiment terrible, cette peur prégnante, s’est transformé en réalité. 
Des juifs allemands ont failli mourir pour la seule raison qu’ils étaient juifs. 

Car ce sentiment d’être une cible perpétuelle, au delà d’être un sentiment qui suit ce jour terrible de janvier, est une réalité au quotidien. Insultes, menaces, agressions, attaques. Entre janvier et mai 2015, alors que nous aurions pu penser que l’antisémitisme allait diminuer, que la société réagirait dans son ensemble suite à l’attentat de l’HyperCacher, il n’en fut rien. Les actes antisémites ont augmenté à cette période de 84%. 

Depuis le début de ce procès, l’antisémitisme est partout. Dans le témoignage des victimes de l’HyperCacher mais également dans celui de Michel Catalano, vendredi dernier. Devant vous, à la barre, il a prononcé cette phrase « Si j’avais été juif, je ne serais pas devant vous pour témoigner ». 

L’antisémitisme comme une évidence. Amedy Coulibaly le répète, à BFM TV, dans l’enregistrement de RTL, dans celui de la GoPro que vous avez lu il y a quelques jours M. le président, il dit et le répète: « C’est parce qu’ils sont juifs, c’est pour tuer des juifs, que je suis rentré dans l’HyperCacher ». 

Mais Amedy Coulibaly et les frères Kouachi ne se sont pas réveillés un matin en se disant qu’ils détestaient les juifs. 
Je regarde le box et je ne peux cesser de me dire qu’il manque des accusés. Des complices non pas juridiques, mais des complices intellectuels. 

Ceux qui ont fermé les yeux, ceux qui ont justifié l’injustifiable par la sociologie ou la géopolitique. Ceux qui portent un discours politique qui excuse et encourage l’antisémitisme.

L’antisémitisme est partout, de tous les récits. Ce n’est pas un antisémitisme du hasard, c’est le socle de l’idéologie islamiste qui les a motivés à agir, le même qui a motivé Mohamed Merah en 2012 à Toulouse. 

M. le Président, notre génération a pris comme habitude de marcher contre l’antisémitisme, en 2006, en 2012, en 2015, en 2018, en 2019. Ilan Halimi, Aryeh, Gabriel et Jonathan Sandler, Myriam Monsonego, Yoav Hattab, à François-Michel Saada, Yohan Cohen et Philippe Braham, Mireille Knoll, Sarah Halimi. J’en ai le souffle coupé.

Aujourd’hui, la décision, les sanctions que j’espère votre tribunal prendra contre les accusés, aura aussi pour vocation de lutter contre cette banalisation de la haine du juif. 

Faire en sorte, M. le Président, que lorsqu’en juin prochain, la génération d’élèves qui devront choisir leur orientation étudiante, n’aient pas à se poser la question de « Où? » mais la question de « Quoi? ». 
Qu’ils n’aient pas à se demander à si leur avenir en France est possible, parce qu’ils penseront à la décision de justice que vous avez prononcée. Malgré la violence des attaques, malgré le terrorisme, malgré la haine antisémite, malgré tout ça, ils sauront que la justice française sanctionne l’antisémitisme meurtrier, que la République les protège et qu’ils pourront être français, juifs et en sécurité sur le territoire français. 

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