Noémie Madar : « Les étudiants juifs doivent pouvoir se projeter dans un avenir serein »

Elue présidente de l’UEJF le 16 juin dernier, Noémie Madar, 25 ans, est entrée en fonctions fin septembre avec un nouveau bureau exécutif constitué de Samuel Lejoyeux, Sarah Ouakil, Ruben Thiar et Yossef Murciano. Elle présente les grands axes de son projet.

Actualité Juive : Vous avez été élue présidente de l’UEJF le 16 juin pendant le 36e Congrès de l’organisation. Sur quel projet avez-vous été élue ? 

Noémie Madar : Les étudiants réunis lors du Congrès de juin ont voté des motions d’orientation et parmi les lignes directrices de mon projet, il y a d’abord réaffirmer le combat de la lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Je veux aussi œuvrer pour le rassemblement des étudiants dans les différentes sections locales à Paris et en province et accompagner les étudiants isolés dans les régions où il y a peu d’étudiants juifs et où souvent, ils sont victimes d’antisémitisme. J’aimerais faire en sorte d’accompagner ces étudiants pour qu’ils se sentent moins seuls et surtout, qu’ils n’entrent pas dans un cercle vicieux où victimes d’antisémitisme et seuls, ils préfèreraient ne pas en parler. 

Je pense également que nous vivons un moment charnière en ce qui concerne la mémoire de la Shoah. La génération des étudiants d’aujourd’hui est la dernière à pouvoir entendre des rescapés et notre responsabilité est donc aussi de penser la suite. Penser la mémoire de la Shoah sans rescapés et à la lutte contre le négationnisme quand il n’y aura plus de parole vivante pour la raconter. 

Nous sommes enfin dans une période où les étudiants actuels, nés dans les années 2000, n’ont connu que la Seconde Intifada, Ilan Halimi, l’Hypercacher et Ozar Hatorah. Ils ont, en quelque sorte, seulement connu la crainte et la peur de l’antisémitisme et dans ce contexte, la difficulté à se projeter est très présente car lorsqu’on est dans une forme d’insécurité, on a du mal à voir plus loin. Notre responsabilité avec ces étudiants est de lutter contre l’antisémitisme et de construire pour pouvoir se projeter dans l’avenir.  

A.J.: Vous qui avez été étudiante et qui militez à l’UEJF depuis des années, avez-vous vu le climat se détériorer dans les universités sur la question de l’antisémitisme ? 

N.M. : Je suis rentrée en 2011 à la faculté et j’ai eu un parcours militant pendant sept ans à l’UEJF à l’université Paris Dauphine dans les mandats de Sacha Reingewirtz puis de Sacha Ghozlan. Je pense qu’il y a eu deux périodes en termes d’antisémitisme et de difficultés pour les étudiants. La première en 2012–2015. Dans ces années marquées par les attentats, l’antisémitisme était violent. Chacun avait peur pour sa vie. Est-ce qu’on part, est-ce qu’on reste ? La crainte du futur immédiat était partout. Aujourd’hui, nous sommes dans une seconde période avec une communauté juive qui vit, qui construit des bâtiments et qui se développe mais en même temps, beaucoup d’étudiants nous font part d’un antisémitisme du quotidien, de la petite blague, de la référence. Nous ne sommes plus dans une période où le futur immédiat interroge, mais le futur lointain. Il s’agit dès lors de trouver comment se projeter demain en 2050, en 2060, en tant que juif de France et communauté juive de France. 

A.J.: Que peut faire l’UEJF sur cette question ?  

N.M. : Depuis 75 ans, l’UEJF est une sorte d’outil pour se dire à la fois « Je ne suis pas seul » et « Je veux voir plus loin ». L’un des enjeux de mon mandat seront les questions d’éducation. Cela signifie à la fois travailler en lien avec les écoles juives car là se trouvent les futurs étudiants juifs de France – et ces élèves-là doivent pouvoir se projeter dans un avenir serein. Mais c’est aussi établir des liens entre les écoles juives et l’université, et lutter contre l’antisémitisme dans les écoles publiques où parfois les élèves juifs n’ont plus droit de cité. L’UEJF intervient en milieu scolaire avec le programme CoExist pour déconstruire les préjugés. Cette action a un impact réel mais nous sentons bien que nous avons du mal dans certaines écoles devant certains propos alors que nos intervenants sont solides et expérimentés. 

Nous savons, par ailleurs, que dans les universités, l’antisionisme est une nouvelle manière de cibler les étudiants juifs. L’antisémitisme prend désormais les habits de l’antisionisme. En 2018, le local de l’UEJF Paris 1 a été saccagé avec les inscriptions  « Mort à Israël ». Dans plusieurs universités, l’organisation BDS tente aussi de s’infiltrer et organise notamment l’« Israel Apartheid Week ». Pour lutter contre ce fléau, nous menons plusieurs actions comme un voyage annuel avec plus de 40 éducateurs sociaux en Israël autour d’un programme de médiation interculturelle. C’est à la fois avec des démarches de lutte mais aussi de construction que nous pourrons sereinement parler d’Israël. 

A.J.: La question identitaire est de toutes les polémiques qui font l’actualité. Cette question fait-elle le lit des haines et si oui, comment l’appréhender ?   

N.M. : Cette question est aussi la solution à toutes les peurs et nous y travaillons beaucoup à l’UEJF : comment appréhender son identité de façon sereine pour pouvoir se construire et dire qu’on a une identité complexe ? C’est l’enjeu. Aujourd’hui, de pseudo-mouvements antiracistes assènent que l’identité est « une » : on est soit noir, soit blanc, soit musulman, soit juif. Au contraire, il faut pouvoir dire qu’on a une identité complexe, l’assumer et s’engager avec cette complexité. Moi je suis juive, française, militante, je suis étudiante, antiraciste et je suis une femme. Tout cela est à prendre dans un seul panier et pas en opposant les choses les unes contre les autres. Elle n’est donc pas le lit de toutes les haines mais la solution à toutes les peurs. 

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