Twitter: libertés et préjugés [Tribune de Jonathan Hayoun (Libération, 7 Janvier 2013)]

Internet est devenu le lieu privilégié de banalisation des paroles racistes et antisémites. Dans  la France de 2013 va t-on répertorier les Juifs sur Internet? La France doit-elle rester le pays où Google suggère encore l’association du  mot juif à vos recherches?

La France dispose d’une des législations les plus complètes en termes de lutte contre la xénophobie, le racisme et l’antisémitisme. Elle n’en fait pas suffisamment usage à l’endroit où elle le devrait. En France, il est interdit de professer la haine de l’autre dans les espaces publics.

Twitter est pourtant un lieu où les garde-fous contre la haine semblent être devenus inexistants, et où ceux qui la distillent se sentent en totale impunité.

Le 10 octobre dernier, plusieurs centaines de messages antisémites ont inondé Twitter, à l’invitation d’une improvisation sur le thème #unbonjuif. “Un bon juif est un juif mort”, “Un bon juif est un dur à cuire”, … – voilà le florilège qui s’est affiché sur les écrans de millions d’utilisateurs, citoyens français. La popularité de l’exercice était telle qu’il a aussitôt été classé comme contenu promu.

Depuis, d’autres mots clefs du même acabit ont fait rage sur Twitter : “#unbonmusulman”, “#antinoir”, “#SiMonFilRamèneUnGay”… Les Français ciblés par ces messages de haine n’ont d’autre recours que de faire appel aux associations de lutte contre le racisme.

Laisser les associations antiracistes mener ce combat, ce n’est que suturer, cautériser imparfaitement la plaie béante et multiforme qu’approfondissent chaque jour les cyber-prêcheurs de haine, sous couvert d’anonymat. En prenant cette responsabilité, nous devenons au mieux les éboueurs du net, au pire ses urgentistes.

C’est à la Justice française de faire appliquer les principes républicains qui nous rassemblent,  et de restaurer la confiance que nous y plaçons en faisant traduire en justice ceux qui profitent de l’anonymat pour laisser libre cours à leur haine.

Nous serons en procès le 8 janvier avec Twitter. Nous leur demandons de respecter le droit français en mettant en place un dispositif facilement accessible permettant à toute personne de signaler des contenus illicites tombant sous le coup d’incitation à la haine raciale. Ce procès a aussi pour objectif de mettre un terme au sentiment d’impunité des utilisateurs de Twitter, qui restent comptables devant le droit français. La Justice devra astreindre le géant du net à fournir les données d’identification des auteurs de tweets racistes et antisémites.

C’est dans un tribunal américain que nous avions à l’époque contraint Yahoo à ne plus vendre d’objets nazis aux internautes français. Jugement surprenant pour une justice réputée avoir une vision très différente de la nôtre en ce qui concerne la liberté d’expression. Ne nous laissons pas prendre au piège en ayant peur de donner l’image d’Européens réactionnaires, moralistes et réducteurs de libertés. En ces temps de crise, on nous demande de comprendre que ces bruits virtuels ne sont qu’un symptôme acceptable de la libération de la parole. Alors qu’ils ont plutôt le parfum nauséabond des réelles dérives totalitaires qui s’en prennent à des boucs émissaires.

Nous devons lutter contre ce bruit assourdissant. Et dans ce combat, nous ne devons nous interdire ni de dire, ni de faire interdire.

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