Tout cela était-il un rêve? – Discours de fin de mandat de Sacha Ghozlan
Madame la Présidente,
Madame, Messieurs les membres du bureau exécutif national de l’UEJF,
Mesdames, Monsieur les membres de mon bureau exécutif national,
Chers présidents d’institutions, Chers intervenants, Cher formateurs, chers délégués nationaux, Chers présidents de sections, Chers militants, Chers amis,
Tout cela était-il un rêve ?
23 rue des martyrs, 2 heures du matin, le moment parfait pour démarrer le debrief du précédent debrief.
Inès se tourne vers moi et me demande à quelle heure finit cette réunion interminable tout en évaluant les risques sécuritaires que nous prenons en nous rendant sur place.
Anna envoie des messages pour mobiliser des militants et prépare un dossier de presse tout en m’intimant de ne pas twitter avant elle le lendemain.
Samuel se lance dans un long monologue sur la politique de la ville, comme pour étirer le temps, avant de se pencher sur un dossier de subvention laborieux qui l’accompagnera jusqu’à l’aube.
Noémie, elle, liste les partenaires, prend les décisions logistiques et rejoint Samuel pour l’aider à finir ce dossier au plus vite.
Autour de nous, le chaos. Des boites de sushis bien entamées, des bouteilles de coca éventrées. Des volutes de cigarettes s’envolent dans l’open space mal éclairé.
Malgré la tension ambiante, nous nous efforçons de rester silencieux pour échapper aux velléités vengeresses de la gardienne.
Le temps nous est compté, déjà je perçois les premières lueurs du soleil qui éclairent le sud de la rue des Martyrs. Nous nous dépêchons de rentrer chez nous. Vite quelques heures de sommeil.
Vite, avant que Kashmira ne nous réveille avec le bruit de l’aspirateur.
Demain, nous le savons, la journée sera longue. Nous pourrons compter sur l’aide de Judith, malicieuse et exigeante qui nous accompagnera à coup de notifications What’s app.
Dans quelques heures, Isaac nous enverra un poème pour nous rappeler de ne pas laisser les fenêtres ouvertes en plein hiver.
Alex nous demandera si nous avons enfin fini ce dossier de subvention en préparant son café du matin.
Et vers 11h, Ruth nous enverra un mail de relance sur un partenariat à négocier, agrémenté d’un « PS : Sacha occupe-toi des souris, je ne peux plus revenir au bureau, elles sont énormes ».
Non je ne rêve pas. Cette nuit s’est bien déroulée telle que je la décris.
Peut-être était-ce une veille d’Universités d’hiver, un lendemain de Convention, à quelques heures du départ pour un voyage de médiation ou dans la nuit précédant une action coup de poing contre Dieudonné ou le FN.
Il y a dans cette nuit, le goût d’une vie délurée. Non pas de ceux qui dansent debout sur le bar jusqu’à l’aube (encore que cela a pu se produire), mais la vie de ceux qui croient en l’Homme pour ce qu’il a de meilleur. La vie de ceux qui donnent la leur pour les autres. Cette vie, résumée en une courte nuit.
Cette nuit qui peut sembler banale, mes prédécesseurs s’en souviennent, les militants l’imaginent avec envie et nos amis formateurs y pensent avec amusement. De la banalité de cette nuit, de ces nuits, jaillissait bien souvent l’extraordinaire.
Mes prédécesseurs m’avaient prévenu : « tu verras Sacha, le plus dur ce n’est pas le manque de sommeil, c’est l’irrégularité du sommeil ». Tu parles… Pour pouvoir rêver, il faut dormir un peu.
Permettez-moi donc de poser la question : « Tout cela était-il un rêve ? » Ai-je rêvé un rêve ?
Oh ! Je vois bien les regards dubitatifs des psychanalystes présents dans cette salle qui commencent à s’interroger sur le sens de mon avant-propos.
« Avec tout ce temps passé à réfléchir au sens de l’engagement et des responsabilités, à la force de la transmission et au poids de la parole. Le mec est en pleine décompensation post-mandat, on l’a perdu. Il est hors du réel, irratrapable ! ».
Détrompez-vous chers amis !
Président de l’UEJF, c’est le rêve ! Alors un rêve un peu particulier, avec des membres du bureau national qui te répètent toute la journée « c’est quand que tu vas mettre des paillettes dans ma vie ? » Des proches qui demandent tous les six mois l’air faussement détaché « et sinon, c’est quand que tu commences à travailler pour de vrai ? ».
Et puis il y a ceux qui demandent sans trop savoir dans quoi ils s’embarquent « et sinon toi, tu fais quoi dans la vie ? Ah et … ça te prend tout ton temps ? ».
Tu verras Noémie, président de l’UEJF c’est un rêve, un univers qui n’a rien d’imaginaire mais dans lequel ton imagination sera déterminante.
Ce rêve est ancré dans la réalité, inscrit dans un héritage dense et d’une brûlante actualité.
Ce rêve prend ses racines dans le Maquis toulousain. Il est d’abord un cri d’espoir pour ceux que la Shoah a dévasté. Le cri d’espoir d’une Résistance juive au nazisme, une lueur d’espoir face à la fatalité, un chant de vie s’opposant aux armées de la mort. Voici ce qu’était l’UEJF à sa création.
Oh cela fait bien longtemps que nous avons délaissé le Maquis pour les Universités et les écoles de l’enseignement supérieur. Mais j’ose croire que nous avons conservé cette étincelle de l’espérance qui fait vibrer chacun d’entre nous. Je ne parle pas d’une chimère, ni même d’une vue de l’esprit. Ce dont je vous parle, c’est un espoir ancré dans le réel.
Cet espoir, je l’ai touché du bout des doigts à plusieurs reprises dans mon parcours.
J’y ai goûté lorsque je cherchais des amis pour combattre le GUD qui sévissait rue d’Assas quand je sortais d’amphi.
Je l’ai redécouvert lorsque l’UEJF a fait plier Twitter aux termes d’une procédure judiciaire qui m’a donné envie d’agir.
Je l’ai senti s’éloigner puis je l’ai vite retrouvé le 9 janvier 2015.
Ce jour-là, lorsque nous avons dépassé la sidération et que nous avons décidé d’organiser un rassemblement contre l’antisémitisme moins de 24h après qu’un individu haineux soit venu pour y semer la mort, j’ai retrouvé l’espoir.
Ce jour-là, j’ai compris ce que signifiait l’espoir. Cet espoir est celui qu’un collectif emporte, dépasse des peurs bien personnelles. Cet espoir c’est celui de voir des hommes, des femmes de tous horizons descendre dans les rues, près du Métro Saint Mandé pour conserver l’espoir que des assassins avaient voulu enlever.
J’ai compris que nous avions la capacité d’ancrer l’espoir dans le réel, et d’y adjoindre l’action pour nous assurer de son inscription en nous-mêmes.
C’est ce jour-là que j’ai su que je voulais devenir président de l’UEJF. Je voulais combattre les injustices et porter un message d’espoir.
De ce rêve fabuleux, je me remémore ces lieux où nous avons combattu et commémoré, festoyé et rassemblé, dénoncé et agi, pris la parole quand les mots nous manquaient et respecté le silence quand il s’imposait à nous.
Ces expressions sur les visages, comment les oublier ? D’allégresse ou de tristesse, de déception ou de victoire, ces colères et ces éclats de rire, ces cris scandés en manifestations et ces paroles de réconfort entendues quand l’espoir semblait s’éloigner, ces chants qui nous emportent jusqu’à l’aube et ces prières qui réconfortent l’âme. C’est cela l’espoir du réel.
Je ne reviendrai pas sur les actions menées durant ce mandat. Mais ce que je peux vous dire c’est qu’il reste beaucoup de choses à accomplir. L’antisémitisme explose, la France est fracturée, les populismes menacent l’Europe, les défis écologiques et environnementaux sont des sujets qui animent les plus jeunes, à juste titre. La situation politique dans de nombreux pays amis est incertaine : en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis, en Israël. Les syndicats étudiants ont abandonné l’universalisme républicain pour l’indigénisme. Les islamistes et l’extrême-droite comme les faces d’une même pièce prennent d’assaut le débat public et nous violentent.
Mais je le sais, la nouvelle équipe sera en mesure de relever ces défis et de remporter des combats valeureux.
J’exprime ici, ce soir, toute ma gratitude aux étudiants qui m’ont accordé leur confiance tout au long de mon parcours tumultueux, en section, au bureau exécutif national puis à la tête de notre Union. J’espère avoir été digne du crédit que vous m’avez accordé. Je crois qu’avec le bureau national, nous avons donné le meilleur de nous-mêmes pour que l’UEJF soit la maison de tous les étudiants juifs de France.
Non je ne rêve pas. Tout cela est bien réel. Pourquoi ?
Parce que chaque jour durant ces trois dernières années, des personnes bien ancrées dans la réalité m’ont apporté du courage, de la force et m’ont accordé leur confiance. Je veux les remercier ce soir, car je m’estime chanceux de les compter parmi mes proches.
Oui j’ai eu de la chance ! Quelle chance d’être entouré de personnes que j’estime pour leur dévouement, leur imagination et leur intelligence. Ils ont compté dans mon parcours, ils ont une place singulière dans ma vie.
Merci à mes illustres prédécesseurs qui m’ont inspiré par leur courage, leur discernement et leur audace. Merci à Ygal, Patrick, Yoni, Ben, Raph et Arielle pour ne citer qu’eux.
Merci à John qui m’a initié au militantisme, donné le goût de l’action à travers ses combats valeureux contre les géants du net.
Merci à Sacha qui m’a inspiré par sa volonté d’ouvrir des horizons même dans une période troublée par des attentats meurtriers.
Merci aux présidents de sections, membres de bureaux des sections et militants pour leur confiance, leurs critiques constructives, pour nos échanges authentiques et nos constructions communes.
Si nous avons pu porter nos idéaux si loin, c’est grâce à votre engagement quotidien, votre regard critique et votre opiniâtreté. Ils méritent d’être applaudis !
Merci aux délégués nationaux qui nous ont épaulé pour construire des horizons plus heureux. A Emma, Eithan, Hillel, Jonas, Judith, Juliette, Nathan et Ylana.
Merci à Elsa Pariente, fraîchement mariée, fraîchement élue vice-présidente de l’EUJS qui a marqué mon mandat par son action sociale, son intérêt pour Israël et ses « wesh ».
Merci à Sacha Czertok, qui a mené avec courage, détermination et constance les comités de vigilance citoyens contre le FN jusqu’au sommet.
Merci à Benjamin Hausser, recordman de participation aux Univs d’été, strasbourgeois voyageur qui a relancé des sections dans le nord-est.
Pourquoi cette nuit est-elle différente de toutes les autres nuits ? Non je ne m’égare pas, je sais que Roch Achana approche et que nous n’en sommes pas encore à Pessah.
Cette nuit est différente de toutes les autres nuits parce que cette nuit nous célébrons la transmission. Nous rappelons que ce mot n’est pas uniquement le titre d’un atelier d’identité juive, qu’il s’inscrit dans une réalité, et qu’il est pour ceux qui donnent, comme pour ceux qui reçoivent, un bien précieux.
Cette chaîne de transmission est le fruit du travail des formateurs qui ont égayé mon parcours.
Merci à Baroukh, Reuven, Audrey, Laurent, Henri, Raphaël, Nicolas, Yoann et Elie pour nos échanges précieux qui m’ont aidé tout au long de mon parcours.
Merci à Noam, très présent pendant mon mandat, compagnon de voyages au bout du monde, force d’apaisement.
Merci à Orly, formatrice et directrice de CoExist qui a parié sur moi quand je n’y croyais pas et dont j’admire la constance de l’engagement.
Merci à Emmanuel, camarade blagueur à la plume délicate. Un gars sûr comme on dit.
Je voudrais remercier Judith qui dirige avec intelligence cette formidable équipe de formateurs. Judith m’a aidé à me dépasser, à porter un regard éthique sur le monde qui m’entoure, à me remettre en question pour avancer. Je te dois bien plus que je ne saurai l’exprimer et je t’en suis éternellement reconnaissant.
Merci à ceux qui ont joué un rôle singulier dans mon parcours.
A Eric, pour sa bienveillance, son accent du sud-ouest qui m’a préparé aux temps médiatiques importants et dont les conseils sont précieux.
Merci à Nethanel, fin stratège et compagnon des aventures nationales et internationales.
A Philippe, pour sa façon de dire « nous » dans les galères comme dans les joies.
A Benjamin pour son aide New-Yorkaise.
Je veux saluer ce soir le travail de l’ombre des salariés de l’UEJF. Merci à Alexandra, Ruth et Isaac qui assurent la pérennité de l’UEJF et m’ont donné le sourire lorsque je passais la porte du bureau chaque matin.
Merci aux volontaires en service civique pour leur aide précieuse.
Merci aux amis, partenaires avec qui j’ai mené tant de batailles et de combats valeureux. A Henri Cohen Solal, Dominique Sopo, Patrick Desbois, Nourdine Skikker, Jimmy Losfeld, Orlane François, Joelle Bordet, Benjamin Orenstein et Elie Buzyn.
Enfin, je veux remercier ceux, sans qui rien de tout cela n’aurait été possible. Sans eux, je me serai contenté de rêver, grâce à eux, avec eux, nous avons pu agir.
Merci aux membres du bureau exécutif national de l’Union des Étudiants Juifs de France.
A Inès. Mon amie Inès, ma vice-présidente, qui a cru en moi. Qui a mené tant de projets, au parcours flamboyant, capable d’accomplir des miracles en un temps record. Nous avons rejoint ensemble le bureau de Sacha fin 2013, et je suis tellement heureux d’avoir pu partager autant avec toi. Ensemble nous avons collé des affiches à Lyon sous la pluie pendant une nuit, tracté pour annoncer la venue d’étudiants israéliens à l’Université de Saint Denis et fait de la trottinette électrique dans les rues de Washington.
J’ai pu m’appuyer sur toi de nombreuses fois. Tu es une joueuse d’échecs qui avait souvent plusieurs coups d’avance sur moi, qui sait cerner chacun et qui a accompagné plusieurs générations d’étudiants.
A Anna. Communicante hors pair, qui a mené des projets extraordinaires pendant le mandat. Du voyage à New York avec Hillary Clinton, en passant par des actions coups de poing contre le FN. Je ne compte pas les sections que tu as remontée en tant que secrétaire générale et les centaines d’étudiants qui ont trouvé en l’UEJF un espace de réflexion et d’action accueillant et bienveillant. Avec Anna, nous avions un concours, celui qui avait le plus de Retweets. Elle utilisait le compte de l’UEJF, moi mon compte perso. Parfois elle a gagné ce concours, souvent nous avons ri de cette compétition insensée. Toujours j’ai pu compter sur toi.
A Samuel, dont une blague me reste en mémoire : Il va voir des brésiliens en Israël cet été et leur dit « You gave us Neymar, moyen, moyen ». Voilà le genre de blagues dont est capable Samuel…
Tu as réalisé des exploits aux élections universitaires, ton parcours est l’incarnation de cette dialectique entre judéité et République. Je suis heureux que tu aies rejoint mon bureau en cours de mandat et fier que tu aies décidé de continuer l’aventure avec Noemie. Je suis convaincu qu’ensemble vous réaliserez de belles choses.
Madame la présidente.
Noémie.
Je présumais depuis longtemps que tu serais un jour présidente de l’UEJF. Tu as accompli des miracles. Tu m’as impressionné par ta force de travail, ton envie d’être sur le terrain pour porter hautes des convictions nobles dans des périodes troubles. J’ai pu compter sur toi dans mon parcours, et tu as accompli des choses formidables dans mon mandat. Tu as ma confiance. Celle de ton bureau. Celle de tous les militants. Celle aussi des amis qui sont venus ce soir témoigner qu’ils seront là demain pour l’UEJF.
Je sais, je suis convaincu que tu seras une excellente présidente.
Je veux dire bon courage à Yossef, Ruben et Sarah qui rejoignent cette formidable aventure aux côtés de Samuel et Noemie. Je vous connais bien et cette période transition a été pour moi l’occasion de mieux entrevoir vos qualités. La force de l’engagement de Yossef, la finesse des analyses de Ruben et la soif de rassemblement de Sarah. Ensemble, avec Samuel et Noemie vous formez une superbe équipe.
Ce ne sera pas facile tous les jours, mais vous pourrez compter sur Anna, Inès et moi pour vous aider si vous en ressentez le besoin ou l’envie.
Je m’envole pour d’autres rêves, de robes et de plaidoyer.
Je suis fier de ce que nous avons réalisé ensemble et serein car je sais que je laisse l’UEJF entre de bonnes mains.
Et je suis plein de gratitude envers ceux qui, par fidélité, loyauté et convictions, m’ont aidé à grandir. J’ai grandi grâce à l’UEJF. Car l’UEJF est un espace de liberté, d’impertinence et d’audace, où le devoir se conjuguent avec la détermination et l’autonomie.
C’est ce que j’y ai appris, c’est ce pour quoi j’ai combattu.
Vous qui continuez à porter la flamme de l’UEJF.
Soyez déterminés, soyez audacieux, soyez libres !
Et si vous le voulez, ce ne sera pas un rêve !
Me voilà libéré aussi dans un certain sens. Libéré de mes responsabilités. Depuis mes premiers pas au bureau national, je me sépare ce soir de ce qui a été au cœur de ma vie pendant près de sept ans. C’est dur. Ce sera dur. Il est heureux donc que vous soyez là, mes amis.
Cette séparation, qui me semble difficile, elle appelle d’autres générations de jeunes juifs français à, à leur tour, apprendre en militant, grandir en combattant. Cette séparation est juste, elle est pour le bien.
C’est donc pour le bien, que ce soir, je suis triste et heureux de vous dire au revoir.