Tribune de Sacha Ghozlan dans Le Monde : “Ce gouvernement doit déclarer un état d’urgence de l’antisémitisme”

Paris, un matin d’hiver. J’interviens dans un lycée pour comprendre la façon dont des élèves ressentent la poussée inquiétante des actes antisémites et ce qu’ils comprennent de l’appel à manifester de 14 partis politiques. Soudain, l’un d’eux me surprend par la force de sa question : « Je suis juif, est-ce que c’est lâche de me demander si j’ai un avenir en France ? ». Je dois m’y reprendre pour lui répondre. Un jeune juif de quinze ans qui a grandi avec l’antisémitisme s’interroge sur son avenir en France avec culpabilité. Il ne veut pas quitter la France, mais la peur le saisit. Il a compris que les juifs ne se sentent pas en sécurité, que les responsables politiques ne prennent pas les mesures garantissant une projection en France et que la société réagit souvent trop mollement, trop tard. Et pourtant, je suis intimement convaincu que la France est un grand et beau pays, dans lequel les juifs ont un avenir.

L’antisémitisme frappe les français juifs d’une triple peine : celle d’abord de la violence des mots, des écrits et des actes qui frappent, humilient et meurtrissent. Celle ensuite, du sentiment de solitude qui nous habitait lorsque nous étions trop peu à marcher pour Sebastien Sellam, Ilan Halimi, les victimes d’Ozar Hatorah et de l’HyperCacher, Sarah Halimi et Mireille Knoll. Celle enfin, des âmes habituées dont parlait Charles Peguy, qui laissent faire, et se rendent complices, dans le silence ou l’indifférence, des assassins d’enfants.

Qu’il soit d’extrême-droite, d’extrême-gauche, antisioniste, soralien, dieudonniste, islamiste, négationniste, décolonial, indigéniste et/ou racialiste, pour combattre l’antisémitisme dans toutes ses dimensions, il faut le qualifier, avant de s’y attaquer sur tous les fronts.

Mais nous en avons assez de l’émotion, des discours politiques tant nous sommes confrontés au quotidien aux murs de l’indifférence, au silence des présidents d’Universites qui laissent la haine s’ancrer dans certains établissements et aux témoignages anonymes des victimes d’actes antisémites qui ne souhaitent plus déposer plainte.

Cela fait quinze ans que nous marchons, et rien ne change. Certains français juifs ont peur de porter la kippa dans la rue, des enseignants ne peuvent plus enseigner la Shoah dans certaines écoles, et marquer un attachement à Israël est devenu synonyme de mise en danger.

Et derrière ces chiffres de l’antisémitisme qui sont devenus un baromètre de l’état de santé de notre démocratie, ce sont des vies qui sont bouleversées, des destins brisés.

Nous ne voulons plus de cette « compassion », de la « vive émotion ». Nous attendons des actes et des moyens pour les accomplir. Nous attendons du gouvernement qu’il déclare un état d’urgence de l’antisémitisme.

Sur internet et sur les réseaux sociaux, les Dieudonné et Soral propagent la haine auprès de millions d’internautes. Le gouvernement doit prendre des mesures fermes pour faire appliquer les sanctions pénales, faire fermer définitivement les sites qui appellent au meurtre des juifs, responsabiliser les réseaux sociaux en leur imposant des amendes lourdes indexées sur leurs chiffres d’affaires en France.

Dans les Universités, les étudiants sont confrontés à des tags, dégradations antisémites depuis plus d’un an. Les auteurs ne sont jamais identifiés, interpellés et sanctionnés et les présidents d’Universités peinent à qualifier une croix gammée accompagnée du mot Juden d’acte antisémite.

Les référents racisme et antisémitisme, lorsqu’ils sont nommés dans les établissements de l’Enseignement Supérieur sont méconnus des étudiants, disposent de peu de moyens et d’une formation sommaire pour gérer des situations de crises. Combattre l’antisémitisme à l’Université c’est investir dans ces référents, les rendre visible auprès des étudiants, et faire signer à l’ensemble de la communauté universitaire une charte contre le racisme et l’antisémitisme.

Dans les écoles, les professeurs font parfois face à des préjugés tenaces qui sont difficiles à déconstruire. Nous le voyons lorsque nous y intervenons avec notre programme CoExist. Dans certains lieux, les juifs ont déserté les écoles publiques qui ne sont plus à même d’accueillir ces élèves qui sont en proie à du harcèlement, des préjugés tenaces et qui sont insuffisamment protégés par la communauté éducative.

Le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner a annoncé une augmentation de 74% des actes antisémites avec 541 actes ayant donné lieu à des dépôts de plainte dans les commissariats. Ces chiffres sont très en-deça de la réalité, car combien de français juifs ne déposent pas plainte de peur de représailles ? Combien d’actes ont donné lieu à des poursuites judiciaires, et combien de fois la justice est-elle entrée en voie de condamnation ? Peut-on tolérer que des policiers suggèrent à une famille de quitter son quartier parce que des canailles antisémites l’ont repérée et qu’il n’y a plus rien à faire ? La ministre de la justice a annoncé la généralisation des plaintes en ligne, c’est un dispositif à mettre en place urgemment.
Les mosquées salafistes, les chaînes satellitaires qui incitent à la haine du juif doivent être fermées.

Dans certains lieux, les communautés juives vivent bunkerisées, effrayées par un monde extérieur qui leur semble parfois hostile. Combattre l’antisémitisme c’est aussi décloisonner ces communautés, leur autoriser une ouverture sur leur entourage et pour cela il faut développer une politique de la ville qui favorise les échanges, dresse des ponts et abat les murs de l’obscurantisme et du repli identitaire.

Ce gouvernement doit déclarer un état d’urgence de l’antisémitisme et prendre les mesures qui s’imposent, débloquer des moyens financiers conséquents.

Je voudrai revenir dans cette classe dans quelques mois, et rassurer ce jeune homme, et lui dire que la société a pris conscience que l’antisémitisme nous menace tous en tant que français, que les pouvoirs publics ont agi vite et fort, et qu’aujourd’hui il est beaucoup plus facile de se projeter dans ce beau pays. Mais pour cela, chacun doit bien le comprendre : il y a un temps pour l’émotion, et un temps pour l’action.

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