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Discours de Sacha Reingewirtz, président de l’UEJF, prononcé à l’occasion de la 71e commémoration du ghetto de Varsovie et publiée dans le Huffington Post le 28 avril 2014.
//www.huffingtonpost.fr/sacha-reingewirtz/commemoration-revolte-ghetto-varsovie_b_5210907.html?utm_hp_ref=france
Sont-ils morts… pour rien?
Se sont-ils battus… pour rien?
La révolte du ghetto de Varsovie, dont nous commémorons le soixante-et-onzième anniversaire, nous interroge. Elle m’interroge en tant que président d’une association militante qui combat le racisme et l’antisémitisme. Elle m’interroge dans mon histoire personnelle, familiale.
Dans ce combat inégal face à l’ennemi, dans cette lutte désespérée, s’agissait-il essentiellement de mourir dignement, face à une fin inéluctable? A travers les générations, que nous ont transmis les révoltés du ghetto? Quel est l’héritage légué par ces héros partis sans laisser d’héritiers?
“Pour les désespérés”, disait Walter Benjamin, “nous a été donné l’espoir”.
Les insurgés du ghetto de Varsovie ne sont pas seulement un modèle de courage et de détermination. Le cri poussé en 1943 par Mordechaï Anielewicz, par les partisans de l’Organisation juive de combat et de l’Union militaire juive, face aux S.S. qui ont déjà envoyé à la mort plus de quatre-cent mille Juifs parqués à Varsovie et s’apprêtent à liquider les soixante-dix mille derniers, sera entendu dans le monde entier, et continue encore de résonner.
Ce cri de ténacité galvanise les premiers pionniers de l’Etat d’Israël, les compagnons survivants parvenus jusqu’au kibboutz de Bet Lohamei Hagetaot. Ce cri de colère des insurgés du ghetto, de tous ceux qui se sont soulevés dans toute l’Europe, à Varsovie, à Minsk ou à Riga, jusqu’à Auschwitz et Treblinka, ce chant des partisans monté des forêts de Bielski jusqu’au maquis toulousain des fondateurs de l’UEJF, nous l’entendons encore. Ce cri est pour moi une injonction à l’action, à ne pas rester prostré devant le mal. Ce cri m’oblige à m’engager, ici et maintenant.
Aujourd’hui, en France, travailler au quotidien contre le racisme, combattre l’antisémitisme, c’est entretenir la flamme des mille révoltés du ghetto.
Je veux exprimer, à la veille des élections européennes, nous devons nous mobiliser face au sentiment anti-européen, qui remet en question le bien commun forgé contre les nationalismes exacerbés.
Nous devons tirer les leçons du scrutin municipal, qui a vu un nombre inégalé de citoyens accorder leur confiance à un parti axé sur la stigmatisation de l’étranger. Remarquons que dans ces villes conquises par le Front National, le drapeau de l’Europe commence déjà à être retiré du fronton des mairies… La France va mal quand sa ministre de la Justice est traitée de guenon par des écoliers.
Je veux dire aussi qu’il est urgent de faire un travail de fond dans ce pays pour mettre un terme à la stigmatisation des minorités vulnérables, celle des Roms et gens du voyage, pour en finir avec les discours xénophobes sur les musulmans, avec les préjugés racistes sur les Noirs, les Arabes, les Asiatiques, et pour faire obstacle à la parole homophobe. C’est aussi pour cela que nous avons porté plainte contre le journal régional qui a publié il y a quelques jours dans ses colonnes un classement de la délinquance par nationalité.
La lutte contre la haine se joue aussi dans nos facultés. On ne peut pas tolérer que des étudiants de l’UEJF soient malmenés à l’Université de Paris 8 pour la simple raison qu’ils y accompagnaient des étudiants israéliens venus dialoguer, aux cris de “Sioniste, la France n’est pas à toi”. Triste écho aux cris abjects de “Juif, la France n’est pas à toi” entendus le mois passé dans les rues de Paris…
Nous ne devons rien lâcher contre l’antisémitisme. L’UEJF déploiera dans les mois prochains avec encore plus d’énergie son action pédagogique contre les préjugés dans les collèges, grâce au programme CoExist. Nous continuerons de traduire en justice les négationnistes, à commencer par Dieudonné, ce mardi 29 avril, sans oublier les autres antisémites de la même espèce, Alain Soral en tête.
Dans ce combat contre la haine, la lutte contre le négationnisme est essentielle, et nous devons la mener avec une même détermination contre ceux qui veulent effacer l’histoire du génocide des Arméniens, près de cent ans après sa réalisation, que contre ceux qui nient l’existence du génocide des Tutsis au Rwanda perpétré, il y a tout juste vingt ans.
S’il y a bien un message que nous devons retenir des insurgés du ghetto de Varsovie, c’est que, au-delà de leur sort personnel, ils ont pensé au sort de l’humanité, et, ce faisant, ils ont donné un sens à leur vie. Qu’ils ont nourri, pour les générations futures, la force de vie, la soif de reconstruction. Qu’ils ont fait donné vie à cette maxime de nos pères: “Là où il n’y a pas d’homme debout, efforce-toi d’en être un”.
Soixante-et-onze ans plus tard, nous sommes debout, nous sommes leurs héritiers, et nous continuerons de faire vivre leur message.
Non, il ne sont pas morts pour rien.