Déjà prié de modifier le contenu de son spectacle le Mur, dont les sorties antisémitesont été jugées contraires à la «dignité humaine», Dieudonné doit-il également s’inquiéter pour les vidéos qu’il publie sur Internet ? L’humoriste-polémiste, condamné à de multiples reprises pour antisémitisme, est en effet dans le viseur de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF). L’association a demandé ce mercredi le retrait de la vidéo «2014 sera l’année de la quenelle», diffusée sur la chaîne YouTube de l’intéressé le 31 décembre 2013, et déjà visionnée par plus de 3 millions d’internautes.
Saisi en référé, une procédure d’urgence, le tribunal de grande instance de Paris a mis sa décision en délibéré au 12 février. L’UEJF cible quatre passages de la vidéo, susceptibles de constituer des délits de contestation de crime contre l’humanité, de diffamation raciale, de provocation à la haine raciale et d’injure publique. Stéphane Lilti, avocat de l’association, entend aussi mettre la plateforme de partage devant ses responsabilités : «Pour YouTube, le racisme ou l’antisémitisme sont des opinions comme d’autres, explique-t-il à la barre. C’est peut-être la vision américaine, mais en France c’est un délit, une infraction pénale.»
Quatre saillies de Dieudonné, au long des quinze minutes de la vidéo, ont retenu son attention. Comme celle-ci : «Moi, les chambres à gaz, j’y connais rien, si tu veux vraiment je peux t’organiser un rencard avec Robert», lâche l’ancien comparse d’Elie Semoun, en s’adressant à l’avocat Arno Klarsfeld. Pour Lilti, «c’est évidemment un propos négationniste que d’ériger Robert Faurisson en historien de référence». Jacques Verdier, avocat de l’humoriste controversé, fait d’abord mine de ne pas comprendre. «Qui est ce Robert ? Ça peut être Robert Redford, Robert de Niro, qui vous voulez !» Il se reprend. «Vous me dites que c’est Faurisson, ok. Mais lorsque Dieudonné l’a fait venir au Zénith en 2008, c’est la mise en scène qui a posé problème. Aucun propos révisionniste n’avait été tenu.»
DIEUDONNÉ, «PAS UN KAPO DU IIIE REICH»
Pour Verdier, rien de tout cela n’est antisémite. Dieudonné ne fait «que son métier d’humoriste. La disproportion, l’outrance servent à faire rire». Une ligne de défense que l’avocat maintiendra tout au long des quatre-vingt-dix minutes d’audience, comme à propos de cette autre sortie de son client : «Je n’ai pas à choisir entre les Juifs et les nazis, je suis neutre dans cette affaire. J’étais pas né en 1900 machin, moi je suis né en 66 donc je sais pas ce qui s’est passé moi, qui a provoqué qui, qui a volé qui… J’ai ma petite idée, mais enfin…»
L’avocat estime que Dieudonné «provoque les contraires pour faire rire». Il défend des «vidéos humoristiques», qui ne seraient en aucun cas des «tribunes politiques ou des thèses scientifiques». «Preuve en est le nombre de personnes qui les regardent», argumente-t-il. «Les associations, de manière grandiloquente, posent une loupe sur les textes de Dieudonné. C’est une confusion à la limite du délire que de faire de mon client un kapo du IIIe Reich.» Il ajoute : «D’ailleurs, pour un Franco-Camerounais comme lui, ça ne se serait pas très bien passé pendant la Seconde Guerre mondiale.»
DES «PROPOS CRIMINOGÈNES»
Un argumentaire loin de convaincre Stéphane Lilti. «Dieudonné impute aux Juifs d’être à l’origine de leur extermination, il en fait des manipulateurs de l’histoire, estime-t-il. Par ailleurs, cette tirade est une reprise pure et simple du spectacle le Mur dont on sait ce qu’il est advenu.» L’avocat de l’UEJF s’inquiète aussi des nombreux clichés propagés à l’encontre des Juifs, notamment quand Dieudonné évoque le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, et sa supposée ambition présidentielle : «Je sais que tu veux être président et que tu veux plaire aux banquiers pour qu’ils te filent un peu de pognon et te mettent la couronne sur la tête.»
«Qui sont les “banquiers” auxquels Dieudonné fait allusion ?» demande Lilti. A ses yeux, il est clair que c’est un cliché classique visant les Juifs. L’avocat rappelle d’ailleurs que Dieudonné a été condamné pour des propos tenus en 2004, où il assimilait les Juifs à des «négriers reconvertis dans la banque». Jacques Verdier, l’avocat de Dieudonné, ne prend pas la peine de balayer les doutes : «Certes, il y a un poncif, mais n’est-ce pas aussi une réalité historique que de dire que les Juifs ont eu le droit d’exercer dans la banque au cours des siècles passés ?» Il reprend : «Et puis, si ça faisait allusion à Goldman Sachs, la réputation de cette banque a déjà été faite au cours de la crise des subprimes.»
Les vidéos de Dieudonné, très populaires sur Internet, ne laissent pas d’inquiéter Sacha Reingewirtz, le président de l’UEJF : «Il profite de YouTube pour avoir une plateforme de propagation idéologique», dénonce-t-il. Stéphane Lilti, lui, fustige des «propos criminogènes dans le contexte actuel». Il cite quelques slogans entendus dimanche lors du «Jour de colère», une manifestation réactionnaire où étaient présents de nombreux partisans de Dieudonné : «Juif, la France n’est pas à toi !» ou encore «Faurisson a raison, la Shoah c’est bidon !»
Libération, 29 janvier 2014.
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