“Sanctionner Dieudonné et après ?” Tribune de Sacha Reingewirtz, président de l’UEJF dans le Huffington Post

 

 

À défaut de démarrer l’année sur une note joyeuse, l’emballement des derniers jours autour de Dieudonné aura permis de tracer des lignes claires. D’un côté, ceux qui invoquent la loi pour freiner la progression d’une propagande raciste et antisémite. De l’autre, ceux qui se complaisent devant un discours pervers, qui font mine ou ne voient pas, le danger, que Dieudonné, qui est devenu la mascotte des racistes et des antisémites de tout poil, représente.

De clown, Dieudonné n’a que le faux nez de l’humoriste, son numéro phare est la ritournelle bien connue de la haine du Juif, et depuis peu, il offre en bis un tour de piste homophobe.

Dans ces meetings scabreux, beaucoup y trouvent leur compte: Dieudonné dont les poches se remplissent, car l’affaire est juteuse, mais surtout ses mentors, qui voient leurs idées gagner en audience, grâce à la caisse de résonnance inespérée qu’offre la diffusion sur le Net.

Et le tour de passe-passe est fait, comme si de rien n’était. Dieudonné sort Faurissson du formol, pour en faire un buzz viral. Dieudonné transforme une comptine enfantine en un hymne négationniste. Condamné, Dieudonné joue le martyr de la liberté d’expression, appelle à la rescousse ses fans pour intimider les tribunaux et les associations parties civiles.

Le salut de la quenelle est un exemple parmi d’autres de cette stratégie insidieuse. Ce geste vendu comme anti-système est avant tout le signe de ralliement pour toute une nébuleuse dont le seul point commun est le racisme et l’antisémitisme.

On trouve, parmi les soutiens de la quenelle, l’intarissable antisémite Alain Soral, le négationniste Robert Faurisson, le gudard Fréderic Chatillon, le récidiviste Bruno Gollnisch et l’éternel Jean-Marie Le Pen, mais aussi le suprémaciste Kémi Keba, le néonazi Serge Ayoub … Bref, un concentré d’idéologues d’extrême-droite unis autour du syncrétisme scatologique de la quenelle.

Mais plutôt que des soutiens, ne sont-ils pas les commanditaires d’un Dieudonné qui assure la propagande à grande échelle de leurs idéologies nauséabondes?

Après tout, les auteurs de pamphlets antisémites n’ont pas attendu les années 2000 pour utiliser cabarets et humoristes afin de se populariser, banaliser petit à petit la haine, et légitimer les meurtres.

Les lignes se dessinent donc. Tandis que le P.S. et l’U.M.P. ont chacun tenu un discours de fermeté, le Front National prend parti à demi-mot pour Dieudonné, et révèle à nouveau l’état d’esprit qui le gouverne. Bruno Gollnisch a réalisé à plusieurs reprises le geste de la quenelle, et Le Pen (père) n’est pas en reste. Quant à Le Pen (fille) et Florian Philippot, les deux persistent à minimiser le danger que pose Dieudonné qui n’est selon eux qu’un humoriste.

L’UEJF qui alerte et dénonce Dieudonné et ses soutiens depuis 10 ans, ne peut que saluer la réaction des pouvoirs publics. Et d’espérer que cette prise de conscience disqualifiera également les idéologues auto-proclamés qui utilisent Dieudonné comme courroie de transmission pour séduire un public jeune et sensible aux théories du complot.

Au premier rang de ces marionnettistes, il faut s’intéresser tout particulièrement au maître à penser Alain Soral. Cet ancien membre du bureau politique du Front National était colistier de Dieudonné dans le “parti-antisioniste” présenté aux dernières élections européennes pour “libérer l’Europe de la censure, du communautarisme et des spéculateurs” – vaste programme.

Alain Soral, qui se revendique fièrement national-socialiste (vous avez bien lu) déverse son fiel raciste, antisémite et homophobe dans des vidéos-fleuve publiées chaque mois sur son site Egalité & Réconciliation, qui attire des millions de visiteurs et abrite pléthore de contenus illégaux – incitation à la haine raciale, négationnisme, tout y est … Le site continue pourtant de prospérer, opérant une synthèse de toutes chapelles de l’antisémitisme (traditionnel, anticapitaliste, conspiraciste, négationniste …), et se targuant même d’une boutique de produits dérivés, comme la réédition de “La France Juive” de Drumont!

Il est temps de démasquer Alain Soral, qui joue comme Dieudonné sur l’inversion permanente des valeurs, prêche un discours de haine tout en se disant héritier de la Résistance, et lance des actions en justice absurdes et perverses contre le président de l’UEJF qui m’a précédé, Jonathan Hayoun, au titre de son action contre l’antisémitisme.

Si Dieudonné n’est en définitive que l’arbre qui cache la forêt d’un antisémitisme en pleine régénérescence, il s’agit désormais d’endiguer la propagation des discours racistes et antisémites sur le Web. Il faut donc responsabiliser toute la chaine des acteurs, des hébergeurs jusqu’aux sites de partage. Les éditeurs comme Youtube se doivent d’aménager le système de propagation virale des vidéos, qui offre un écho surmultiplié aux nouveaux fachos, et transforme les réseaux sociaux en une plateforme de radicalisation pour des millions d’internautes.

Quand les sorties de Dieudonné et de ses inspirateurs sont promues parmi le top 3, on se dit en effet que quelque chose cloche dans le fonctionnement des nouveaux médias, et que la neutralité éditoriale affichée, sorte de pied-de-nez puéril aux médias traditionnels, fait finalement le jeu de la radicalité.

Et quand le présentateur Arthur, pour avoir critiqué le soutien de Nicolas Anelka à Dieudonné, reçoit plusieurs dizaines de milliers d’insultes antisémites, on mesure la gravité de la situation …

Pour éviter de nouveaux déferlements de haine sur les réseaux sociaux, tels que celui vécu durant l’affaire du hashtag #unbonjuif (lequel a d’ailleurs repris du poil de la bête ces derniers jours, tiens donc) souhaitons donc que les acteurs du numérique prennent la mesure de leur responsabilité … La responsabilité est peut-être bien le fin mot de cette réalité.

 

Publiée le 8 janvier 2014 dans le Huffington Post

//www.huffingtonpost.fr/sacha-reingewirtz/sanctionner-dieudonne-antisemitisme_b_4560070.html

 

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