Le démantèlement d’une cellule islamiste relance la question de l’antisémitisme dans les quartiers.
Alice Géraud
Parmi le matériel et les différents documents trouvés lors des perquisitions chez les onze membres présumés du réseau jihadiste arrêtés ce week-end, figure une liste d’associations israélites de la région parisienne. Liste dont on ne sait pas, pour l’instant, à quoi elle était destinée, mais qui laisse planer le doute sur la possibilité de projets d’attaques ciblées contre des juifs. Et qui suscite aujourd’hui les pires craintes au sein de la communauté juive de France, dont les responsables ont été reçus, hier matin, par François Hollande à l’Elysée (lire page 6). Responsables partagés entre la satisfaction de voir l’enquête sur l’attaque de la supérette de Sarcelles (Val-d’Oise) aboutir aussi rapidement et le constat de l’existence en France de groupes déterminés à la violence contre les juifs. Dans la soirée qui a suivi les interpellations, des témoins ont vu des tirs de balles à blancs depuis une voiture contre la synagogue d’Argenteuil (Val- d’Oise).
«Tabou». A l’origine du coup de filet de samedi, l’attaque d’une supérette casher de Sarcelles, le 19 septembre, évoquait une intention antisémite. Deux hommes dissimulant leur visage avaient jeté une grenade et brisé une vitrine avant de s’enfuir. Faisant peu de dégâts et un blessé léger. Manuel Valls, le ministre de l’Intérieur, s’était déplacé immédiatement à Sarcelles rencontrant les responsables de la communauté juive de la ville qui parlaient d’un «attentat» et alertaient le ministre sur la montée de l’antisémitisme dans cette banlieue populaire qui comprend une des plus importantes communautés juives de France. Dès le départ, la date du 19 septembre, six mois jour pour jour après la tuerie de Toulouse, avait suscité des interrogations sur une possible référence à Mohamed Merah.
«Contrairement à ce qu’on pensait ou ce qu’on a pu dire, la violence de l’acte Merah a fait des émules. Chez certains jeunes, cet assassin a suscité de l’empathie. Il n’y a qu’à voir les actes violents commis contre des juifs après Toulouse», explique Alain Jakubowicz, le président de la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme (Licra). Il cite notamment l’agression à Villeurbanne (Rhône) de trois garçons portant la kippa, quelques semaines seulement après l’affaire Merah, soulignant que l’auteur présumé des coups les plus violents était «lui aussi converti» (au moins deux des interpellés de ce week-end sont des convertis à l’Islam). «Il y a, par ailleurs, un tabou en France dont les responsables politiques refusent de prendre la mesure : c’est la pénétration de l’antisémitisme dans certains quartiers. Les enseignants en parlent, on nous fait remonter des informations inquiétantes. Pourquoi ces jeunes sont-ils là-dedans ? Ce sont de vraies questions pour notre société.»
Sammy Gozlan, le président du Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme (BNVCA) et du conseil des communautés juives de Seine-Saint-Denis, parle lui aussi d’une «montée très nette de l’antisémitisme après Merah». «La nouveauté, ce sont des actes ou des paroles qui appellent à tuer des juifs.» Cet ancien commissaire de police parle d’une «psychose» dans la communauté juive; «cette histoire de liste retrouvée dans les perquisitions fait peur». Sammy Gozlan souligne que cette peur, «existant depuis la deuxième intifada» et «ravivée avec l’affaire du gang des barbares» a des conséquences «au quotidien pour de nombreuses personnes» : «On dit aux enfants de sortir sans la kippa, certains se font insulter dans la rue, taper à l’école…La société française ne se rend pas compte de tout ça.» Sammy Gozlan attribue cet antisémitisme à des «jeunes musulmans» et fustige pêle-mêle «le silence des responsables musulmans» et «l’activisme propalestinien de certains élus de banlieue qui défendent le terrorisme, nourrissant la haine d’Israël et par conséquent des juifs».
«A l’ouest». Pour Alain Jakubowicz, la question n’est pas là. «Il faut cesser de considérer que l’antisémitisme et le racisme sont des problèmes qui concernent les juifs et les Arabes. C’est un problème qui touche aux valeurs de la France et qui touche donc chacun.» Le président de la Licra estime que les responsables politiques sont «à l’ouest» sur ce sujet. «Je suis affligé de voir aujourd’hui [hier, ndlr] sur le perron de l’Elysée les responsables communautaires. Quel message renvoie-t-on là ?» Selon lui, cette montée de l’antisémitisme s’inscrit aussi dans une «libéralisation de la parole raciste en France depuis le débat sur l’identité nationale à laquelle il faut mettre un terme». «J’attendais du président de la République un discours fort et rassembleur pour la nation française sur ce sujet. Un discours à la Obama. J’attends toujours.»
Libération, 8 octobre 2012.