Monday 20th May 2024,
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Le fait religieux en France selon le président du Consistoire

Le président des Consistoires s’inquiète du climat décrispation autour du fait religieux et en appelle à la responsabilité des pouvoirs publics.

Actualité Juive : Quelle analyse politique faites-vous du climat actuel en Europe quant à certaines pratiques rituelles, comme l’abattage rituel ou la circoncision ?

Joël Mergui : La laïcité se radicalise en France et en Europe, avec l’usage de toutes sortes de prétextes. Nous avons affaire à une « mauvaise foi contre notre foi » pour remettre en cause des pratiques juives. Je n’imaginais pas passer autant de temps à défendre l’abattage rituel ou la circoncision. Nous avons lancé depuis deux ou trois ans plusieurs initiatives, dont les prochaines auront lieu mercredi et jeudi, où nous réunissons l’ensemble des acteurs européens qui font face à la question de la che’hita et de la Brit-Mila. On assiste à une forme de crispation où l’on utilise la laïcité comme un étendard pour contrer les peurs à l’égard du fait religieux. Des peurs qui naissent d’une instrumentalisation du religieux par les terroristes djihadistes, on l’a bien vu. Or l’islam dévoyé ce n’est pas la religion. La réponse à l’islamisme radical, ce n’est pas la laïcité.

Ce n’est pas en s’opposant à la religion qu’on supprimera la racine du mal, bien au contraire. Le judaïsme paie le prix fort de ce combat. Pourquoi ? Parce que notre mode d’abattage est plus rigoureux, parce que la circoncision a lieu à 8 jours, soit à un âge où l’enfant n’est pas conscient. Or, il est pour nous inconcevable de renoncer aux piliers de notre identité ! On se focalise à tort contre l’abattage par saignée directe prônée par la tradition juive. On voudrait faire croire que nous sommes des barbares qui seuls égorgeons à vif les animaux, or je rappelle tout de même que tous les animaux sont égorgés vivants, même dans la méthode conventionnelle. Tous les animaux sont saignés, mais nous seuls refusons de leur infliger une souffrance supplémentaire en les assommant, les électrocutant ou en les gazant pour les rendre inertes avant leur saignée !

 

A. J. : Avez-vous eu l’occasion de mener une étude pour mieux comprendre les forces en présence, identifier les réseaux d’influence en place au niveau institutionnel ?

 

J. M. : Les rencontres avec le Congrès juif européen et les dirigeants des communautés juives européennes nous permettent d’en savoir beaucoup sur le climat actuel. Il est clair que la nouvelle résolution du Conseil de l’Europe concernant la circoncision, même si nous l’avion vu venir, est inquiétante car elle montre un glissement, une banalisation du discours et des actions qui touchent encore à l’un des fondements de notre culte et de notre liberté religieuse. Le danger est là, de faire croire que c’est normal de les remettre en question et que cela ne pose pas de problème. D’où la nécessité pour nous d’agir davantage et d’alerter sur cette nouvelle entreprise de stigmatisation rampante. Voilà pourquoi, il est important que le gouvernement prenne rapidement position sur de telles sanctions qui doivent être condamnées.

 

A. J. : Quelle impression vous a laissé l’audition du Sénat du printemps dernier sur la « filière viande en France et en Europe » ? La vision de la retransmission permet d’y distinguer deux approches très divergentes : une approche « technique » portée notamment par la présidente Bernadette Bourzaï d’une part ; et un procès à charge de la sénatrice et rapporteuse de la mission d’information, Sylvie Goy-Chavent.

 

J. M. : Je suis ressorti de cette audition inquiet. On était face à une sénatrice, qui représentait l’Etat, avec des idées très arrêtées et qui ne voulait pas entendre ce qu’on lui disait. Il y a en France des personnes qui peuvent décider de lois et décider aussi ne pas tenir compte des arguments qui leur sont avancés. L’aspect positif est néanmoins que la législation n’a pas bougé depuis des années. Les gouvernements français successifs ont soutenu notre position. J’ai échangé d’ailleurs sur ces sujets avec le Président de la République, le Premier ministre, les ministres de l’Intérieur et de l’Agriculture et de très nombreux députés. Mon rôle est de rappeler que les droits et les libertés des Juifs français ne sont pas négociables. Le Consistoire doit avoir une voix très forte, solide, dans ces conditions. Il ne faut pas qu’il y ait de dilution de la parole des représentants de la communauté juive. Il ne peut y avoir le moindre doute dans l’esprit de nos interlocuteurs quant à notre volonté de ne pas renoncer à faire respecter nos libertés religieuses fondamentales.

En période électorale à forts enjeux pour la classe politique, il existe un risque que les positions partisanes évoluent et n’aillent pas dans le sens du respect de notre liberté religieuse. Mais ce qui m’inquiète particulièrement, c’est l’utilisation à mauvais escient de certains arguments comme la protection de l’enfance ou la souffrance de l’animal. Comme si l’on essayait de nous enfermer encore une fois dans un rôle créé sur mesure avec l’idée que les Juifs sont des barbares ou des tortionnaires d’enfants. On produit de nouveaux clichés qui créent des préjugés. Quelles répercussions cela pourrait avoir sur la société en matière d’antisémitisme ?

PROPOS RECUEILLIS PAR STEVE NADJAR

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