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Les juifs de France sont-ils en danger ?

Il y a les faits, Toulouse puis Sarcelles. Et il y a un climat de plus en plus délétère. Un nouvel antisémitisme progresse dans notre démocratie, sur fond de régressions identitaires meurtrières. Le dénoncer et le combattre, c’est l’affaire de tous.

Avant toute chose, il y a les faits. Ceux qui n’en finissent pas de résonner et mettent la mémoire à vif, ceux qui n’occupent pas les premières pages des journaux, mais qui n’en finissent pas d’empoisonner le quotidien de nombreux juifs en France. Il y a la tragédie de Toulouse et il y a l’attentat de Sarcelles révélant une cellule terroriste prête à passer à l’action. Des crimes planifiés et organisés, pas des actes isolés et spontanés. Dans les deux cas, la cible était des juifs de France. L’antisémitisme, de l’intimidation au massacre. A Toulouse, des enfants ont été assassinés parce que juifs, sur le sol français, ce que les nazis n’avaient pas fait. Et puis toutes ces agressions, comme celle contre trois jeunes juifs, attaqués, en juin dernier, à coups de marteau à Villeurbanne. Et puis ces «lots» d’humiliations, d’insultes, de tags sur des synagogues, de maculages d’écoles, de dégradations de cimetières. Et puis, la semaine dernière, l’affaire Twitter (lire l’article, p. 17) avec le mot clic «#UnBonJuif». Un choc que cette dégueulasserie de propos masqués derrière le string de la dérision et de la liberté d’expression.

Ce n’est pas la première fois que ce réseau social laisse s’ouvrir les vannes de la pensée excrémentielle sous couvert de plaisanterie. Le site JewPop, qui pratique volontiers l’autodérision, a relevé que, dernièrement, d’autres mots clics sur le site comme «#JeChercheDuTaff», avaient cessé, après trois ou quatre messages, de se présenter comme une sorte de nouveau Pôle emploi pour n’être que le réceptacle de tous les fantasmes sur les juifs.

Internet, aujourd’hui, semble vouloir faire l’exact contrepoint de la loi de Godwin qui pourrait s’énoncer ainsi : moins une discussion en ligne dure longtemps, plus la probabilité d’y trouver une comparaison antisémite s’approche de 1. Pour un des auteurs de JewPop, Alain Granat, Twitter, réseau où débattent et s’ébattent 7 millions d’internautes en France, serait devenu à son insu «le terrain de jeu antisémite de la “génération Dieudonné”». Derrière la formule provocante, il y a un fond de vérité. Dieudonné est le chaînon manquant de l’antisémitisme. Quand, le 28 décembre 2008, l’ex-humoriste fait remettre au négationniste Faurisson «le prix de l’infréquentabilité et de l’insolence» par son régisseur déguisé en déporté d’un camp de concentration, «dans son habit de lumière», ce que l’historien Pierre-André Taguieff a appelé autrefois «la nouvelle judéophobie» tend alors la main au vieil antisémitisme.

Dénationalisation rampante

Par petites lâchetés sémantiques, on avait fini par se demander pourquoi la Licra tenait tant à son a d’«antisémitisme» en plus du r de «racisme». «Oubliant» qu’il s’agit bien de deux maux à combattre, que si le raciste a peur de la différence, l’antisémite lui a peur de ne pas la voir. On a fini par laisser accréditer l’idée que les juifs qui constituent l’un des ressorts multiséculaires de l’histoire de France (lire l’article d’Elie Barnavi, p. 22) étaient une communauté de l’immigration, au point qu’une dépêche lapsus de l’AFP mentionnait que la France «hébergeait» les juifs français… Et que les agressions antisémites soient parfois présentées comme des «tensions communautaires» entre deux groupes – juifs et musulmans – soucieux de défendre un des acteurs du conflit israélo-palestinien. Qui n’a pas vu que ce discours qui visait à «faire simple» finissait par mettre en cause la citoyenneté même des juifs de France, légitimant une forme de dénationalisation rampante ?

Une pauvre sociologie du pauvre ajoutait que l’antisémitisme venait de l’inculture, du chômage, du mal-être, ce qui relève d’un véritable mépris social. Comme si ce fatras sociopsychologique pouvait expliquer qu’on tire à bout portant une balle dans la tête d’une petite fille… Il faut lire, dans la dernière livraison du Point, «Le bloc-notes» de Bernard-Henri Lévy consacré au même sujet. Souvent, BHL et Marianne sont en désaccord. Là, nous nous retrouvons.

On a fini par accepter aussi que des professeurs éprouvent de plus en plus de difficultés à enseigner la Shoah dans des classes «à forte composante maghrébine» dominée par deux ou trois caïds. Or, comme l’a rappelé François Hollande, en juillet dernier, à l’occasion du 70e anniversaire de la rafle du Vél d’Hiv : «Il ne doit pas y avoir un seul établissement où cette histoire ne soit pleinement entendue, respectée, méditée.»

Responsabilité de la droite

Bref, d’aveuglement en petite démission, d’euphémisme en petite lâcheté, on a laissé s’installer un climat délétère pour la démocratie, comme si l’antisémitisme était «l’affaire des juifs», quand on ne leur reprochait pas leur «obsession». Et la droite sarkozyste, n’en déplaise à une partie des responsables communautaires (lire l’article de Guy Konopnicki, p. 20), n’a pas été la dernière à véhiculer cette imbécillité.

Parce que nous avons, à Marianne, critiqué sans ménagement le débat indigne sur l’identité nationale qui a consisté à humilier pendant des semaines une partie de nos concitoyens au prétexte, là aussi, d’enfreindre tous les «tabous», nous nous sentons parfaitement légitimes pour dire que, oui, ce nouvel antisémitisme qui progresse est l’affaire de tous et de la République. Sans doute parce que celle-ci s’est consolidée en réaction à l’affaire Dreyfus. Ouvrir les yeux et dénoncer l’antisémitisme en appelant les choses par leur nom, c’est dénoncer le racisme et le cortège des régressions identitaires meurtrières. C’est un seul et même combat, sans cesse renouvelé, et c’est ce qu’avait bien compris, déjà en son temps, le pasteur allemand Martin Niemöller dans son fameux poème :

«Lorsqu’ils sont venus chercher les communistes Je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste. Lorsqu’ils sont venus chercher les syndicalistes Je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste. Lorsqu’ils sont venus chercher les juifs
Je n’ai rien dit, je n’étais pas juif.
[…] Puis ils sont venus me chercher
Et il ne restait plus personne pour protester.»

Joseph Macé-Scaron, Marianne, 20 octobre 2012.

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