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Chronique ordinaire de la haine.net

Chronique ordinaire de la haine.net

Que dit la loi, que fait la police, lorsque le Web semble n’être qu’un déversoir de critiques, d’injures et de malveillance? Des victimes d’agressions numériques et des “trolls”, les bourreaux, s’expriment dans un documentaire.

La vidéo a été vue près de 400.000 fois en vingt-quatre heures. Un montage de deux minutes, posté sur YouTube la semaine passée, juxtaposant des bribes d’interviews où la comédienne, réalisatrice et chanteuse Mélanie Laurent apparaît prétentieuse et autosatisfaite… Les images ont été retirées après l’intervention de son label musical, Atmosphériques. Mais le mal est fait. Et une copie de la vidéo postée sur Dailymotion, cumulant près de 50.000 vues, est toujours en ligne.

Sur la Toile, le bashing n’épargne personne. Parfois humoristiques, ces clashes peuvent aussi relever d’infractions, punies par la loi. Diffamation, injures ou incitation à la haine raciale… la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) a déjà reçu et analysé 1.532 signalements de contenus haineux sur Internet au 15 octobre, contre 1.377 pour toute l’année 2013. Sans fournir de chiffres, le rapport annuel de l’Observatoire national de l’islamophobie publié mardi relève aussi que l'”islamophobie, via la cyber-haine, augmente fortement”.

Cinq mille euros d’amende pour “provocation à la haine”

Combien de cas arrivent devant les tribunaux? “La première difficulté, c’est de retrouver l’auteur des propos ou de la vidéo”, explique Charlotte Lefranc, responsable du service juridique de la Licra. D’où écrit-il? Quel est l’hébergeur du site? S’il s’agit d’un anonyme dans un cybercafé, l’affaire aura toutes les chances d’être classée sans suite. À la Licra, une personne s’occupe spécifiquement des cas liés à Internet, en partenariat avec les autres associations membres de l’Inach, un réseau international de lutte contre la cyber-haine.

“Si l’on repère un contenu hébergé en Allemagne, mais s’adressant à un public français, notre partenaire allemand fait les démarches pour contacter l’hébergeur. C’est plus efficace et plus rapide. Et lorsqu’on parvient à identifier l’auteur, on constate que les peines sont plus sévères qu’il y a quelques années”, analyse Charlotte Lefranc. Il y a une semaine, le blogueur récidiviste Boris Le Lay a ainsi été condamné à une amende de 5.000 euros pour “provocation à la haine” en raison de propos antisémites publiés en 2010 sur son site, hébergé aux États-Unis.

Une chambre d’écho mondiale

Le sentiment d’impunité est l’un des aspects que soulève le journaliste Fabrice Hoss dans un documentaire consacré à la haine sur Internet, diffusé mardi (*). De la France aux États-Unis, son enquête décrypte le phénomène. Ou comment des propos qui ont de tout temps existé trouvent aujourd’hui une chambre d’écho mondiale… Des victimes témoignent. Comme Bernard Reynès, le maire de Châteaurenard, agressé par un déséquilibré en novembre 2013. Il estime que la libération de la parole sur la Toile “peut autoriser le passage à l’acte”. On découvre le visage parfois inattendu et les motivations de ceux qui profèrent ces injures à l’abri de leur écran. Derrière le pseudo de Georgette, se cache Guy, un retraité qui ­canarde à tout-va. Un jeune homme de 22 ans, tout juste condamné à une amende de 500 euros (assortie de 500 euros avec sursis) pour incitation à la haine, avoue qu’il trouvait juste cela “marrant de voir les réactions des personnes face à ses propos”…

Au-delà du constat, le ­documentaire s’interroge sur les solutions. Aux États-Unis, où la liberté d’expression est inscrite au premier amendement de la Constitution, donc intouchable, il montre que le débat émerge. Des journaux ont décidé de fermer les commentaires sous certains articles publiés en ligne depuis qu’une étude a montré comment ceux-ci influencent notre perception de l’information. En France, il suit le travail des modérateurs qui tentent de canaliser la haine en supprimant illico les propos les plus outrageants.

Traque de “trolls”

La réponse policière et judiciaire s’est durcie dans l’Hexagone, estime le journaliste. Ainsi, une cellule spécialisée de la direction de la police judiciaire, baptisée Pharos, traque les “trolls”, ces semeurs de trouble qui jettent de l’huile sur le feu, de forums en ­réseaux sociaux. Verra-t-on un jour en France une émission inspirée de ce show télé suédois, dans lequel l’animateur retrouve la trace des “trolls” pour les confronter à la violence de leurs propos? Interrogé sur la riposte à adopter, le professeur à la Sorbonne Bernard Benhamou juge que “couper le tuyau” de ce flot de haine est inutile voire dangereux. D’autres intervenants plaident pour un réveil des “bons” face aux “méchants”. Une frontière floue quand le bourreau d’un jour peut se réveiller victime le lendemain…

* Quand la Toile tisse la haine, le 4 novembre à 21.45 sur France 5.

Juliette Demey – Le Journal du Dimanche

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