Monday 25th November 2024,
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“La Shoah, un détail de l’histoire”

Comité de Réponse

Universités en ligne de l’Union des Etudiants Juifs de France

Avec le soutien du L.A. Pincus Fund.

La plus grande des «  petites phrases  » de Jean-Marie Le Pen reste probablement sa caractérisation de la Shoah comme « un point de détail de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale », le 13 septembre 1987. De prime abord, il semble possible de reconnaître qu’en effet, du point de vue de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, prise comme histoire stratégique d’un conflit entre les nations, la destruction des Juifs d’Europe ne constitue pas un élément décisif de l’issue du rapport de forces dans les jeux d’alliances et les combats. La Shoah serait un détail de l’histoire en tant que sa mise en oeuvre n’est pas déterminante dans le déroulement de la guerre, du point de vue de l’émergence des vainqueurs et des vaincus. Reste que cette petite phrase a fait scandale, et à raison, car sous cet abord trompeur, elle recèle des jugements de valeurs pervers et pernicieux. Comment les comprendre?

Dire que la Shoah est un détail de l’histoire réduit la Shoah à un produit dérivé de la guerre entre les nations, et méconnait son statut d’événement au titre de l’histoire universelle. La Shoah fait irruption dans l’histoire universelle comme la première occurrence d’une entreprise de destruction systématique d’un peuple aux moyens des dispositifs industriels et organisationnels les plus avancés fournis par les progrès de la civilisation occidentale.

Destruction systématique.

La Solution Finale consistait non pas seulement à assassiner les Juifs, mais à les détruire. Tuer consiste à ôter la vie. Les nazis se sont emparés d’une tâche plus systématique. Il s’agissait d’une part en amont du meurtre de détruire l’humanité des Juifs selon un processus de déshumanisation largement étudié par les historiens. La propagande antisémite, les humiliations, la réduction des droits, puis la politique de concentration et les mauvais traitements infligés dans les camps de la mort ont procédé d’une volonté de saper aux Juifs le caractère de leur dignité d’êtres humains. En outre, la Shoah n’est pas un massacre, c’est un génocide. Les nazis ont entrepris d’assassiner la totalité du peuple juif. Cette volonté systématique  s’est traduite par une attention méticuleuse portée au recensement, au marquage, et à la concentration des populations juives de par l’Europe. Enfin, la destruction excède le meurtre en tant qu’elle continue d’opérer après que la vie a été ôtée : les nazis se sont attachés à effacer l’existence du peuple juif. Les détenus des camps de la mort se voyaient retirer leur nom. Aucune trace de devait rester d’eux. Qui plus est, les nazis furent les premiers négationnistes de la Shoah. A l’approche des armées alliées, les SS ont entrepris en divers lieu de détruire les infrastructures des camps, afin d’en effacer les traces. En ce sens, l’entreprise de destruction des Juifs d’Europe se donne aussi comme tentative non seulement d’ôter la vie, mais aussi d’effacer l’existence, le nom, la mémoire des Juifs.

Entreprise bureaucratique.

La Solution Finale est implémentée par une administrationbureaucratique moderne. Hannah Arendt, dans Eichamnn A Jerusalem, thématise la « banalité du mal », comme l’action quotidienne et bureaucratique d’un haut fonctionnaire méticuleux et sans passion de planification et administration du génocide.

 

Progrès technique au service de la barbarie.

L’une des spécificités de la Shoah tient à la mobilisation des innovations techniques les plus avancées pour le meurtre de masse. Nous n’en citerons qu’un exemple. Dans le premier moment de la Shoah (dite « par balle »), les assassinats sont procédés par arme à feu et empoisonnement aux gaz d’échappement. Les inconvénients de ce processus poussent l’administration SS à rechercher des moyens techniques jugés plus « efficaces ». A terme, c’est l’entreprise de chimie allemande IG Farben qui produit le « Zyklon B », gaz létal utilisé pour la mise à mort dans les chambres à gaz.

En somme, s’il n’est pas totalement réfutable que la Shoah soit un point de détail de l’histoire de la guerre et de la paix entre les Etats-Nations qui constitue la Seconde Guerre mondiale, il n’en reste pas moins que celle-ci vient faire événement à l’échelle de l’histoire universelle. En effet, la Shoah se donne comme point de non retour, où le progrès de la civilisation occidentale moderne, si bien technologique qu’institutionnel (bureaucratie) est mis au service de la barbarie. Qui plus, l’entreprise de destruction systématique déborde le statut de massacre. C’est pourquoi les procès de Nuremberg ont conduit à l’introduction dans le droit international du concept de crime contre l’humanité. C’est dire que la Shoah est un moment décisif de l’histoire de l’humanité. Ainsi, la « petite phrase », en apparence peu contestable, en donnant à la Shoah le statut de détail à l’échelle de l’histoire des Etats-Nations, tend à rendre l’événement négligeable à des échelles supérieures, et prétend réfuter le caractère universel de l’événement.

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