Dans un chat sur LeMonde.fr, Stéphanie Le Bars, journaliste au Monde, estime que les discriminations relevant de différentes formes de racisme “coexistent et s’imbriquent même parfois de manière difficilement discernable”.
Delama : Quelle est la définition acceptée du terme “islamophobie” ?
Stéphanie Le Bars Du point de vue de la plupart des observateurs, le terme islamophobie est imparfait car il suggère une “peur” collective de l’islam. Mais il s’impose peu à peu depuis plusieurs années comme la définition d’actes, de sentiments, de préjugés à l’encontre de personnes musulmanes ou supposées telles.
delama : D’après Caroline Fourest, le terme islamophobie a été inventé en 1979 par les mollahs iraniens qui souhaitaient faire passer les femmes qui refusaient de porter le voile pour de en les accusant d’être . Qu’en est-il exactement de l’origine du mot ?
Selon des chercheurs, ce mot a été employé pour la première fois en français au début du XXe siècle par des ethnologues présents en Afrique, inquiets du rejet de la religion musulmane par une partie de l’administration des anciennes colonies. Au cours des années 1990, le terme a été l’objet de débat dans les pays anglo-saxons.
En France, effectivement, à partir du début des années 2000, des intellectuels en ont fourni une origine erronée qui a été pourtant acceptée sans débat. Leur définition suggérait que la notion d’islamophobie était un instrument propre à invalider toute critique de l’intégrisme musulman.
Nefertiti : Est-ce vraiment un nouveau racisme ? N’est-on pas passé, par un glissement sémantique, d’anti-arabe/immigré… à anti-musulman ?
On ne peut pas dire que le racisme anti-musulman se soit totalement substitué au racisme anti-arabe ou au racisme anti-immigré dans la mesure où des discriminations relevant de toutes ces formes de racisme coexistent et s’imbriquent même parfois de manière difficilement discernable.
Mohamed : L’essentialisation de la population musulmane de France en un groupe homogène n’est-il pas du principalement aux manques de connaissances des médias ? Le fait de constamment utiliser les mots chocs (“djihad”, “charia”, “salafiste”, etc.), qui sont en réalité quasi-inconnus des musulmans eux-mêmes, ne participe-t-il pas à la stigmatisation des Français de confession musulmane ?
Sans doute. La connaissance de l’islam à travers son actualité internationale et géopolitique contribue à ternir l’image de la religion musulmane. Cette actualité ne peut pas être passée sous silence, mais il est évident qu’elle ne rend pas compte de la diversité et de la complexité du phénomène musulman à travers le monde, et notamment en France.
paul : A quel moment de l’histoire a-t-on basculé dans cette peur de l’islam? Entre l’image des musulmans éclairés de la fin du Moyen-Age et les intégristes d’aujourd’hui, il y a forcement eu un moment de rupture?
Il y a eu en Occident, au cours des derniers siècles, une méfiance, une méconnaissance voire un rejet de l’islam. A cet égard, la période coloniale a laissé de nombreuses traces. La “peur de l’islam” que l’on constate aujourd’hui joue sur d’autres ressorts : crainte d’une “islamisation” de l’Europe ; rejet d’une population immigrée et non chrétienne ; lecture géopolitique de l’islam assimilé à l’islamisme radical ; revendications identitaire et religieuse de certains pratiquants musulmans jugées exorbitantes par les sociétés européennes, etc.
Nasser : Peut-on parler de banalisation du discours islamophobe avec le FN, Marine Le Pen, et les polémiques montées en épingle (prière de rue, viande halal, etc.) ?
Il est évident que, depuis quelques années, l’islam, les pratiques religieuses musulmanes et donc les musulmans eux-mêmes sont devenus une cible privilégiée des attaques d’une partie de la droite, de l’extrême droite, voire de certains responsables à gauche. Cette parole politique a, sans aucun doute, contribué à cautionner des agressions verbales ou physiques envers des musulmans et des institutions musulmanes.
Auguste : L’interdiction du port du voile intégral est considérée acceptable par la majorité des Français. Mais, étant donné qu’il y a des femmes qui veulent le porter (sans y être forcées), n’est-ce pas un cas d’islamophobie de l’Etat, une atteinte inutile aux libertés individuelles ?
La Cour européenne des droits de l’homme doit se prononcer prochainement sur la validité de cette loi et jugera effectivement si elle constitue une atteinte à la liberté de conscience. Mais elle a été votée en France au nom de principes républicains et de sécurité et a été jugée constitutionnelle.
Nicolas : Peut-on faire un parallèle entre les partis populistes islamophobes d’aujourd’hui (Geert Wilders au Pays-Bas, UDC en Suisse, FN en France…) et les partis antisémites des années 1930?
Un parallèle est souvent établi entre la situation de discrimination envers les juifs dans les années 1930 et envers les musulmans aujourd’hui. Il faut être prudent. Si les deux phénomènes peuvent reposer sur des ressorts analogues (réduction des individus à leurs origines confessionnelles, réelles ou supposées), le contexte politique et social, la nature des discriminations et des persécutions ne sont absolument pas comparables. Vouloir à toute force établir ce parallèle peut être considéré par certains comme un moyen de “minimiser” l’antisémitisme. Il peut contribuer, au final, à décrédibiliser la lutte contre l’islamophobie.
Greg : Les statistiques du ministère de la justice distinguent les agressions à caractère religieux. Sont-elles distinguées entre elles? Quelle religion est la plus fréquemment un motif d’agression en France?
C’est le ministère de l’intérieur qui, chaque année, valide les chiffres fournis par la communauté juive et, depuis 2010, par la communauté musulmane. Il s’agit des plaintes enregistrées. Pour l’année 2012, la communauté juive (Service de protection de la communauté juive, SPCJ) a fait état de 177 actions violentes et de 437 menaces, tandis que, pour les six premiers mois de l’année 2013, la communauté musulmane par la voix du Conseil français du culte musulman, a annoncé 84 menaces et 108 violences. Les nombreuses dégradations, profanations de lieux de culte chrétien ne font pas l’objet d’un décompte aussi précis.
LeMonde.fr, Lundi 30 septembre 2013