Monday 25th November 2024,
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Dieudonné: fermeté et apaisement

Ma plume n’est pas objective. Elle est à l’origine du signalement au parquet de Paris, le 20 décembre dernier, au nom de Radio France, des dérapages de Monsieur Dieudonné M’bala M’bala regrettant, sous les rires glaçants de son public, la disparition des chambres à gaz et suggérant sa déception qu’un journaliste ayant osé le critiquer n’y finisse pas. L’affaire Dieudonné a, depuis, hystérisé le pays, trop pour certains s’agissant d’un sujet insignifiant, éloigné des préoccupations sociales de nos concitoyens, à juste titre pour d’autres, les idées pouvant détruire une nation plus certainement que des difficultés économiques. Il se trouve que la France est un pays d’idées et que les débats intellectuels et politiques sur des questions principielles y sont d’une férocité singulière. En 1894 aussi il devait bien exister des difficultés économiques et le pays se déchira pourtant sur le sort du capitaine Dreyfus. Ne le regrettons pas ou renonçons à notre exception culturelle.

Si nous en restions là – interdiction, nouveau spectacle- un petit tour de débat et puis s’en va sur d’autres polémiques, alors tout cela aura été vain et inutilement destructeur. Si avec le temps de l’apaisement ne vient pas celui de la réflexion, à quoi bon se déchirer? Qui peut penser que ce que révèle cette affaire est réglé? Que l’enjeu portait sur la personne de l’ancien comique plutôt que sur son public? Qu’il n’y a pas un malaise sombre et profond -à défaut pourquoi interdire son spectacle? la démocratie aurait pu digérer ce mauvais aliment sans avoir recours à une médecine radicale -auquel il faut répondre par l’intelligence et la main tendue à ceux qui n’ont plus beaucoup de repères mais auxquels il serait bon d’en redonner avant de devoir les traiter de nazis, ce dont on peut douter de la valeur pédagogique.

Fallait-il interdire ses spectacles ?

L’entreprise était juridiquement audacieuse, risquée, problématique autant par la publicité induite pour celui que l’on entendait combattre que par l’atteinte à la liberté d’expression qu’elle représentait. Fallait-il dès lors baisser les bras et laisser la haine se propager à raison de 6OOO spectateurs/jour ? Fallait-il faire le constat que la démocratie ne dispose d’aucune arme pour se défendre dans une situation d’urgence ? Faible et bien malade régime que celui-là, par ailleurs incapable de faire exécuter ses propres décisions judiciaires à l’encontre d’un « bouffon » selon le qualificatif utilisé par Madame Taubira. Ainsi, un malin, un provocateur cynique en son théâtre, pourrait se jouer de l’état de droit et consacrer un spectacle à déverser sa haine sur un groupe humain quel qu’il soit et nous devrions l’écouter en nous convainquant que c’est sa liberté. Ah bon ? Mais alors à quand des spectacles d’humoristes d’extrême droite vomissant sur les musulmans et d’intégristes catholiques contre les homosexuels (également cibles de Dieudonné, mais ca va souvent avec les juifs) ? A certains professeurs de droit ou juristes que j’entends hurler à l’hérésie juridique, sur ce sujet comme sur d’autres dès qu’il s’agit de toucher aux libertés de ceux qui en sont les ennemis, le droit n’est pas une matière coulée dans le formol, il s’adapte à l’évolution de la société, il prend en compte les réalités et la créativité n’est pas un si vilain défaut. Qui peut imaginer le Conseil d’Etat en ennemi de la liberté ? Qui peut prétendre que cette juridiction, à l’indépendance établie depuis des décennies, dont la compétence est reconnue à l’échelle européenne, va subitement se transformer en organe de censure et de bien pensance simplement parce qu’elle a adapté une jurisprudence préexistante à notre époque ? Là aussi, il fallait du courage et de l’audace.

L’esprit munichois est tellement tentant et il est bien plus agréable de recevoir des louanges comme gardien de la liberté d’expression plutôt que de se faire qualifier de censeur. La décision prononcée n’a rien de choquante. La liberté d’expression pour laquelle j’ai plaidé mille fois et dans des cas extrêmes, n’est pas sans limites et il faut n’avoir aucun recul ou être pathologiquement binaire pour prétendre le contraire. Aucune liberté n’est absolue. Le respect de la dignité humaine est aussi un impératif. La liberté d’expression, comme le droit, ne sont pas des fins en soi, ils participent à la construction d’une société de liberté, d’égalité et de fraternité et non à créer une société de haine, de négation de l’autre, de faiblesse face à la violence. Le Conseil d’Etat a répondu avec honneur et argumentation à une situation exceptionnelle : un spectacle antisémite digne de l’avant-guerre avait lieu sur notre sol. La liberté d’expression n’est pas en danger sauf pour ceux qui voudront appeler à la violence et à la haine après avoir été condamnés 9 fois pour de tels faits. Ce qui est rare. Il faut être malheureux d’en être arrivé à une situation telle que cette décision soit devenue nécessaire mais la regretter, non.

Que dire aux quenelliers et aux fans ?

Peut être d’abord qu’imaginer être «  antisystème » en faisant un bras d’honneur en public, c’est avoir une réflexion politique assez limitée. Le «  système » a de beaux jours devant lui avec de pareils opposants. Et qu’est-ce que le «  système » ? La démocratie ? Le complot judéo-maçonnique mondial ?

J’entends ensuite, depuis des années en fait, les arguments sur le fameux «  deux poids deux mesures ». Il n’y en aurait que pour les juifs alors que les caricatures de Mahomet, par exemple, sont autorisées. Ce parallèle traduit une totale perte de repères. D’un coté la critique d’une religion qui doit être libre, de l’autre la négation ou l’apologie de l’extermination de 6 millions d’hommes de femmes, d’enfants. D’un coté une croyance, de l’autre un fait historique. Le délit de blasphème n’existe pas, insulter des êtres humains parce qu’ils sont juifs, noirs ou musulmans est un délit. Qu’un comique dise, du début à la fin de son spectacle, que le judaïsme est la religion la plus con du monde ne pose strictement aucun problème. Qu’il rejoue le protocole des sages de Sion avec des juifs tirant toutes les ficelles du malheur de monde, cela est misérable. Je supplie les spectateurs de Dieudonné de s’arrêter une minute sur ce point. On peut et on doit critiquer toutes les religions mais jamais les juifs, les musulmans ou les chrétiens pour ce qu’ils sont. Il n’y a aucune rupture d’égalité.

Dieudonné dit avoir tourné la page et entreprendre un nouveau spectacle. Si c’est bien le cas et s’il poursuit dans cette voie, saisissons ce moment d’apaisement pour tendre la main. Qu’il le joue, qu’il redevienne donc drôle sans être haineux s’il le peut ! Alléluia ! Allégeons même les poursuites en cours le concernant s’il tient son engagement. Pourquoi pas ? La République peut être magnanime quand le danger est écarté. Une partie au moins de son public risque d’être déçu de ne pas trouver le rire méchant qu’il est venu chercher mais si le personnage a assez de talent, il le renouvellera et s’en trouvera bien mieux. Quelle meilleure issue à cette affaire ? On peut être perplexe, on doit être vigilant mais n’ayons pas une méfiance d’avance. Par pitié, ne donnons pas l’impression, maintenant, de nous acharner.

Une évolution législative ?

En 2005, un ensemble d’intellectuels emmené par Pierre Nora, Elisabeth Badinter et Pierre Vidal Naquet alertaient contre les lois mémorielles. Parmi elles, la loi Gayssot. Les événements récents prouvent que ces lois ne protègent nullement de la confusion des esprits. Elle donne par contre, à tort et paradoxalement mais c’est ainsi, des arguments aux révisionnistes et à leur public à l’esprit encombré d’une cyber bouillabaisse intellectuelle à la sauce «  on nous cache tout, on nous dit rien ». Pire, Dieudonné ne dit pas que les chambres à gaz n’ont pas existé, il les regrette ! Le débat porte donc sur le délit d’incitation à la haine, applicable à tous, et dont on pourrait alourdir les peines financières prévues, outre que les tribunaux seraient susceptibles d’interdire, sous astreinte, la réitération de sketchs condamnés, comme il en est déjà ainsi lorsque tel passage d’un livre est jugé diffamatoire et surtout exécuter coute que coute les peines prononcées. Le temps passe, notre législation n’est peut être plus adaptée, d’où le recours par des pouvoirs publics responsables de la cohésion nationale, en ultime garde fou du bien commun, à une demande d’interdiction. Admettons cette mesure dans le cas présent mais faisons en sorte de ne plus avoir à l’utiliser.

Huff Post, 16 janvier 2014

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