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5 propositions pour repenser l’école.

La concertation lancée en juillet par le ministre de l’Éducation nationale, Vincent Peillon, reprendra le lundi 27 août 2012. L’objectif : Refonder l’école de la République. Respect mag participera au dialogue voulu par le gouvernement. L’occasion de revenir sur 5 propositions présentées dans Respect mag 29. « Coup de projo sur l’Éducation. »

« Faire de l’école un lieu de vie et non plus d’exclusion.» Esther Benbassa, directrice d’études à l’École pratique des hautes études et spécialiste de l’histoire du judaïsme moderne et des minorités. Esther Benbassa a débuté en enseignant la littérature française dans le secondaire à des élèves de milieux défavorisés, puis clairement issus de l’immigration. Plutôt que d’appliquer un enseignement classique, elle a inventé ses propres solutions. « Je ne me suis jamais ennuyée et je pense que mes élèves non plus. Nous avons travaillé tous les grands textes sous une forme théâtrale, ce qui était très joyeux. Au collège, il faut créer la proximité, l’interactivité, compléter le savoir par la critique, le débat d’idées et s’adapter sans arrêt à une population qui change. C’est un rôle d’éducateur-enseignant. Instruire sans éduquer ne sert à rien. Quand des jeunes vous disent sans cesse ‘‘nous sommes colonisés parce que nos parents sont au chômage et c’est aussi ce qui nous attend’’, vous pouvez agir. J’ai organisé une semaine de lutte contre la discrimination à l’école, nous avons visionné des films sur l’Algérie, sur les histoires de vie de leurs parents, fait une exposition sur leur vécu à l’école… Dans les programmes officiels, on peut inclure de grands poètes arabes ou persans tels qu’Abou Nuwas, Mahmoud Darwich, qui ont participé au patrimoine mondial culturel, l’art nègre en cours de dessin, ou les pays d’origine en géographie. L’école est vue comme un lieu de sélection, de rejet ; il faut qu’elle devienne un lieu d’apprentissage au vivre ensemble

«Une autre approche du fait religieux.» Daniel Mendelzon, professeur d’histoire-géographie au collège Romain Rolland, à Bagneux.Être prof, c’est sa deuxième vie. Cet Argentin d’origine était chercheur en biologie moléculaire avant de passer le concours des enseignants et de se retrouver dans un collège de ZEP. Avec deux collègues (anglais et espagnol), il met en place un projet interdisciplinaire pour parler des trois grandes religions monothéistes à travers l’histoire de l’Espagne musulmane. Ses élèves participent à des ateliers à l’Institut du monde arabe, au Musée d’art et d’histoire du judaïsme et découvrent trois lieux de culte : une synagogue, la grande mosquée de Paris et Notre-Dame. «L’idée était de leur montrer les interactions entre ces religions, les objets du judaïsme présents dans le monde musulman, les contes arabes inspirés de héros de la Bible, et de déconstruire les préjugés forgés par un environnement familial», explique Daniel Mendelzon. Une démarche qui a parfois suscité des réticences, de la part des jeunes ou des familles. «Je me souviens de la surprise des élèves en présence de la seule femme rabbin de France, ou de l’émerveillement des enfants musulmans devant l’architecture de Notre-Dame.» Daniel Mendelzon reconduit l’expérience plusieurs années de suite et considère qu’elle peut tout à fait s’inscrire dans le programme : «De la 6e à la 3e, chaque enseignant a la liberté pédagogique d’aborder le fait religieux par l’histoire, la culture, les textes de référence. Et de montrer que l’intolérance et le fanatisme ne sont pas l’apanage d’une seule religion, mais que chacune a son lot. Il est intéressant de donner la parole aux élèves, souvent réticents à s’exprimer sur leur croyance. C’est l’occasion de valoriser cette part d’eux-mêmes, de décrisper les rapports

« Pour une mondialisation de la culture.» Carole Diamant, professeur de philosophie, auteur d’École, terrain miné (Liane Lévi éditeur). Carole Diamant est une multirécidiviste. Dix ans d’enseignement en Afrique noire et vingt ans en ZEP. Avec Richard Descoings, patron de Sciences Po, elle travaille sur la mise en place des Conventions d’éducation prioritaire et participe à une expérimentation à Saint- Ouen, basée sur le tutorat de l’élève, l’interdisciplinarité, des plages horaires assouplies et la pédagogie de projet. L’enseignante prône une approche très différente des programmes scolaires : «Je ne comprends pas pourquoi la mondialisation est toujours abordée d’un point de vue économique ou financier, et jamais culturel. Il est nécessaire d’appréhender les textes fondateurs des autres civilisations. Ce n’est pas perdre sa culture que de découvrir celle des autres. La culture générale ne peut plus être une culture nationale au sens restreint du terme.» À partir de 2002, Carole Diamant commence à travailler sur la genèse de la Bible et du Coran, pour en montrer les similitudes. «Les élèves avaient tant à cœur de débusquer les différences que nous avons pu mener un travail analytique extraordinaire. Je n’aurais jamais obtenu autant d’attention méthodologique en travaillant sur Kant ou Descartes. Cette démarche a créé une vraie complicité.» Suite à un acte antisémite, elle travaille sur la Shoah avant d’élargir le débat à tous les génocides : khmer, arménien, rwandais. Le message : le génocide n’a pas de couleur, il est le fait de l’humanité et l’homme doit se méfier de sa capacité à la barbarie. «Dans un monde où les communautés se referment sur elles-mêmes, les enseignants ne doivent pas participer à la scission entre l’univers de l’école et la vie

«Aider les enseignants à aborder les sujets sensibles.»Sophie Ernst, agrégée de philosophie, auteur de Quand les mémoires déstabilisent l’école, détachée à l’INRP (Institut national de recherche pédagogique).Un des premiers sujets de recherche de Sophie Ernst était la contribution de l’école à l’intégration des enfants de l’immigration. Aujourd’hui, elle s’intéresse à l’éducation civique, pour aider les enseignants à parler des sujets sensibles comme la Shoah, la colonisation, l’esclavage. «Les enseignants sont mal à l’aise pour aborder ces moments d’histoire qui s’ancrent dans l’émotion et soulèvent des problèmes de morale et des conflits politiques. Comment trouver le ton juste ? Il nous faut passer d’une commémoration douloureuse au savoir et à l’analyse.» Sophie Ernst donne en exemple le projet européen Eurescl, qui regroupe sur un site Internet les travaux universitaires sur l’histoire de l’esclavage. « L’approche scientifique mondialisée permet de sortir des polémiques nationales. » Savoir en parler est une chose, gérer les réactions en est une autre. «Les enseignants redoutent d’être pris à partie par les élèves, de devoir gérer des questions d’identité et des revendications communautaires. Mais lorsqu’ils dépassent cette peur, ils se rendent compte que ces réactions sont un moteur formidable pour susciter la motivation.”

« Pour une nouvelle culture commune. » Éric Favey, secrétaire général de la Ligue de l’enseignement. « Le défi de l’école aujourd’hui : partager une culture commune en l’articulant avec des cultures spécifiques pour les faire reconnaître. C’est un engagement qui relève du débat politique selon l’idée que l’on se fait de l’identité d’un pays. La fabrication du roman national ne peut plus s’établir sur les grandes batailles françaises. La relation au savoir doit avoir un sens pour l’élève, afin qu’il y trouve sa place. L’enjeu du renouveau pédagogique, c’est celui de toute la société. L’Appel de Bobigny va dans ce sens. Lancé fin 2010 et signé par 70 organisations (syndicats, mouvements pédagogiques, culturels) et 70 villes, il pose les bases d’une politique commune pour l’enfance et la jeunesse, les principes d’une école innovante qui avance avec les acteurs de terrain. Nous proposons de repenser la formation des enseignants, en particulier l’interdisciplinarité et la pédagogie ; de travailler en partenariat avec d’autres intervenants issus du monde culturel, social, en contact avec les jeunes. Une nouvelle approche qui serait intégrée à la fois dans le cursus initial et dans la formation continue. Le but est d’aborder ensemble le multiculturalisme pour lever les préjugés

Respect, 23 août 2012.

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