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Dieudonné assagi sur scène mais pas sur internet

 

Le polémiste Dieudonné M'bala M'bala donne une conférence de presse au théâtre de la Main d'or à Paris le 11 janvier 2014

C’est un paradoxe de l’affaire Dieudonné: le polémiste ne peut plus tenir de propos ouvertement antisémites sur scène, mais il continue à le faire dans des vidéos visionnées des millions de fois sur internet, et interdire ces vidéos est difficile.

Sur scène, l’humoriste controversé ne peut plus dire «Je n’ai pas à choisir entre juifs et nazis, je suis neutre dans cette affaire», un des passages choc du spectacle «Le Mur» dont les charges antisémites ont créé la polémique.

Après l’interdiction, validée par le Conseil d’État, d’une série de représentations de ce one-man-show, Dieudonné a dû édulcorer son propos. Il est revenu sur scène avec le même spectacle, intitulé autrement («Asu Zoa») et expurgé de ses charges les plus dures.

Mais sur internet, certains des passages visés par la justice sont toujours là et ont été vus trois millions de fois en 15 jours.

Mardi, lors de sa conférence de presse, le président François Hollande a souligné la nécessité de combattre certains propos tenus par Dieudonné sur la toile. «Il est très important de lutter (…) Il y a ce qui est fait (dans) les spectacles, et il y a ce qui doit être fait sur internet. Nous y travaillons», a-t-il déclaré.

Mais faire retirer une vidéo postée sur un site de partage comme YouTube est «compliqué», préviennent les spécialistes de la question.

La loi de 2004 sur la confiance dans l’économie numérique établit que ces sites ne sont responsables des contenus illicites qu’ils hébergent qu’à partir du moment où ils ont «effectivement connaissance de leur caractère illicite».

Quand une vidéo pose problème, il faut donc que des avocats (d’un coup de téléphone) ou des utilisateurs (d’un clic) la signalent au site de partage pour qu’il constate que le contenu est bien hors-la-loi.

C’est ce qui s’est passé récemment avec une vidéo dans laquelle Dieudonné se moquait de la Shoah en chantant «shoananas» et qui avait valu à son auteur une condamnation pour «provocation à la haine».

 

«Zone d’ombre»

 

Mais le caractère illicite des vidéos signalées est souvent beaucoup plus compliqué à établir et les blocages sont rares.

«Nos équipes essayent de maintenir un équilibre entre liberté d’expression et respect des sensibilités locales», explique-t-on à YouTube. «Pour les vidéos à caractère pornographique, c’est facile et les blocages sont fréquents. Pour le reste, c’est plus délicat», ajoute-t-on en reconnaissant attendre pour cela une décision de justice.

Résultat: des dizaines de vidéos dans lesquelles Dieudonné s’en prend ouvertement aux juifs sont toujours en accès libre, dont l’une au moins a valu une condamnation au polémiste.

«Où commence l’incitation à la haine raciale, où commence l’acceptable ? Il y a une zone d’ombre dans laquelle il est très difficile de statuer», estime un responsable d’un site de partage de vidéos sous couvert d’anonymat. «Force est de constater que Dieudonné se balade dans cette zone d’ombre avec beaucoup d’agilité.»

«On est en face d’un monstre que personne ne surveille», regrette, à propos de YouTube, Marc Knobel, directeur des études au Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) et auteur de «L’Internet de la haine».

«Notre problème c’est que chaque seconde des milliers de vidéos sont postées sur YouTube», dit-il. Rien que pour le négationniste Robert Faurisson, «il y a des centaines d’occurrences. Pour Dieudonné c’est encore pire. Il faudrait une armée d’avocats» pour faire face, selon lui.

Néanmoins, «il faut continuer de signaler les contenus illicites», défend Marc Knobel.

«Ça sert quand un contenu est condamné, ça sert de rappeler que le racisme n’est pas une opinion mais un délit, ça sert de renforcer la jurisprudence», insiste-t-il.

«On a l’impression que YouTube prend en compte les signalements de manière un peu plus sérieuse qu’avant», tempère Daniel Makonnen, porte-parole de la Licra, «mais ça n’empêchera pas un autre internaute de remettre la vidéo en ligne».

Quand des vidéos sont retirées pour des problèmes de droit d’auteur, ce qui est assez fréquent, elles ne peuvent pas être remises en ligne parce qu’un logiciel les bloque «mais cette technologie n’est pas utilisée pour les propos racistes ou antisémites», regrette-t-il.

Libération 17 janvier 2014

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