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Israël sans perspectives : l’ère des grands hommes à la Bégin, Rabin et Sharon est-elle révolue ?

Un héros pour Israël, un criminel pour la Palestine ; Ariel Sharon n’en était pas moins un leader d’envergure, capable de pragmatisme et de rompre avec son parti quand il l’a jugé nécessaire et capable toutefois de réunir. Avec sa mort, et celle de Yasser Arafat, il y a plusieurs années déjà, un déficit de leadership pèse sur le conflit israélo-palestinien.

Atlantico : Détesté par les Palestiniens et adoré par de nombreux Israéliens, Ariel Sharon, qui était dans le coma depuis 8 ans, a, au-delà de toutes considérations idéologiques, été un leader israélien très important. Sa mort marque-t-elle la fin d’une génération de leaders pouvant rassembler Israël ?

Frédéric Encel : Par définition, pour des raisons biologiques évidentes, il n’y a plus de gens dotés d’une épée, considérés comme efficaces et héroïques par les Israéliens. Cela pour une raison simple, les grands généraux des guerres d’Israël sont tous très âgés ou morts d’une part et d’autres part, il n’y a plus de grands conflits épiques depuis 1973, où Sharon s’est particulièrement illustré pendant la guerre du Kippour. Ainsi, les Israéliens ne poursuivront pas quelqu’un sur la base de cette confiance-là, militaire. Cela ne veut pas dire pour autant que personne n’obtiendra le prestige nécessaire pour parvenir à impulser un grand pas pour la paix. Il faut de toute façon l’espérer sans quoi ce serait se résoudre à l’idée que ce conflit sera sans fin.

Il faut ajouter d’ailleurs que Shimon Peres, aux cotés de Rabin lui-même grand général, a impulsé les accord d’Oslo et a donc été suivi par une partie de la population sans bénéficier de cette crédibilité militaire.

Par quels moyens, quels faits d’armes, politiques ceux-là, un homme ou une femme politique israélien pourrait-il se forger une carrure digne d’un Yitzhak Rabin ou d’un Menahem Begin ? Qu’en est-il de Tzipi Livni en qui beaucoup ont fondé des espoirs ?

Votre question renvoie à l’image peu flatteuse de la classe politique isréalienne qui s’explique par des affaires de mœurs, de corruption, de clientélisme révélées ces dernières années. Affaires existant à droite comme à gauche, chez les religieux comme chez les laics… Et pendant ce temps, le processus de paix piétine et piétine toujours. Ainsi si la question s’impose, la réponse est délicate à apporter.

On pourrait imaginer comme « fait d’arme politique » un mouvement politique d’ouverture, d’un camps politique vers un autre pouvant fédérer et s’accompagnant de talent d’orateur. Ainsi, Tzipi Livni étant le parangon du nationalisme israélien, de tradition historique, mais a à un certain moment basculé vers le centre gauche. Elle par ailleurs intelligente et bonne oratrice, ainsi peut-on voir là une candidate. Il est aussi intéressant d’évoquer quelqu’un comme Dan Meridor au Likoud. Toutefois, je conclurais que Eoud Barak s’étant retiré, il y a effectivement un manque de leadership.

Cela dit, on peut aussi espérer que le processus de paix puisse avancer sans un leader ainsi héroïsé. Sans avoir besoin de ces grands drames autour de Bégin à Camp David ou de Rabin avec Oslo.

Les réguliers rebondissements autour de la mort de Yasser Arafat révèlent-ils que comme les Israéliens, les Palestiniens ne trouvent plus de grand leader qui puisse unifier leur cause ?

Si Yasser Arafat était détesté par de nombreux Palestiniens, il leur permettait toutefois, par sa longévité politique, sa combativité et la création de l’Organisation de libération de la Palestine, de se réunir derrière quelqu’un. Même le Hamas tenait ses critiques vis-à-vis de lui tant il représentait une figure tutélaire.

Après sa mort, c’est donc Mahmoud Abbas qui est propulsé sur le devant de la scène. Si les Palestiniens ne reconnaissent qu’à demi-mots qu’il est grand leader, il est toutefois là depuis dix ans et n’a jamais été dépassé en termes de leadership. De plus, en face de lui, il y a le Hamas à la tête duquel il n’y a pas de grands leaders. Personne ne fait l’unanimité de ce côté-là du spectre politique palestinien non plus.

En conclusion, je dirais que d’un côté comme de l’autre de ce conflit, apparait un manque clair de grands leaders.

Quelles sont les conséquences de ce  double constat ? Le conflit israélo-palestinien est-il plus que jamais embourbé par ce manque d’hommes et de femmes capables de provoquer de grandes avancées du processus de paix ?

Le conflit israélo-palestinien est dans une impasse, depuis dix ans maintenant, de basse intensité. Il est d’ailleurs passé au second rang des préoccupations du Moyen-Orient. Les Printemps arabes, les déchirures inter-arabes et les différents conflits civils en ont fait aux yeux des grandes puissances, un simple contentieux. Mais ce n’est pas un manque de leader qui veut ça, ce sont les tendances lourdes de la « grande » géopolitique.

Quels sont aujourd’hui ceux qui pourraient endosser ce rôle du côté palestinien ?

On voyait fut un temps émerger la personnalité de Mohammed Dahlan, ancien chef des Forces de Sécurité préventive de la Bande de Gaza. Toutefois, ce fringant quarantenaire s’est échappé et a disparu au moment du putsch du Hamas, provoquant une vive déception dans la jeunesse palestinienne. Mais celui qui apparait comme pouvait vraiment endosser ce rôle aujourd’hui, c’est Marouane BarghoutiToutefois, s’il est à ce point populaire, c’est notamment parce qu’il est emprisonné en Israël. Il a par ailleurs combattu les armes à la main et pourrait faire le pont entre le Fatah historique et les modérés du Hamas. Et ça les Israéliens le savent très bien, en tout cas dans les sphères du pouvoir. Je pense d’ailleurs que la justice israélienne, si le processus de paix avance, trouvera un moyen de le « rendre » aux Palestiniens afin de pouvoir négocier avec lui.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure
Atlantico, 12 janvier 2014

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