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« Il aurait fallu réagir dès les premières dérives »

Propos recueillis par Pierre Assouline

 

Historien de formation et directeur des études du CRIF,Marc Knobel a pour domaine de prédilection l’antisémitisme,l’antisionisme,le terrorisme,l’islamisme,le négationnisme,les extrémismes, (« tous le ismes !» plaisante-t-il).Il a publié dernièrement deux ouvrages d’importance : « L’internet de la haine » (Ed.Berg International) et « Haine et violences antisémites,une rétrospective 2000-2013 » (Ed.Berg,350 p.).C’est dans cette perspective qu’il explique le succès actuel du discours de Dieudonné.

Actualité juive :Pourquoi faire remonter l’engouement d’une certaine partie de la population pour Dieudonné à octobre 2000 ?

 

Marc Knobel :Cette date est très symbolique, c’est en quelque sorte le début d’une nouvelle ère. Du 1er octobre (au lendemain de la mort de Mohamed Al Dura, début de la seconde Intifada, donc) au 15 octobre 2000, 75 actes ont été perpétrés contre les Juifs, ou des lieux symboliques. Ce fut le début d’une très grande tension et d’un grand désarroi pour les Juifs de France. J’ai donc étudié cette période. Ce livre explique pourquoi la situation s’est dégradée à ce point et si dangereusement. Or, les condamnations ont été peu nombreuses de 2000 à 2003. Cependant, en 2003, lors d’une réception à l’Élysée, Jacques Chirac dénonce fortement l’antisémitisme. Nicolas Sarkozy et François Hollande prendront par la suite la mesure du danger. Depuis, les termes utilisés sont forts et on ne peut douter de la condamnation de l’antisémitisme au plus haut sommet de l’État.

 

Selon vous,le phénomène Dieudonné n’est donc que le résultat de cet état des lieux ?

 

On ne peut intégrer ce que disent Alain Soral et Dieudonné et le réseau qui s’est constitué autour d’eux, que dans ce contexte de diabolisation des Juifs et de violences : 7660 actes antisémites de 2010 à 2013, dont cinq meurtres). Il n’y a plus de « tabous ». Le pli est pris maintenant, hélas. Il aurait fallu réagir plus énergiquement dès les premiers actes antisémites. Lorsque Dieudonné invite le négationniste Robert Faurisson à l’un de ses spectacles au Zénith, devant une foule en délire, il n’aurait pas pu le faire auparavant. La quenelle est aussi devenue un phénomène de mode. Les attaques sont devenues banales et Dieudonné joue avec cette violence.

 

A-t-il des thèmes récurrents ?

 

Oui, ils sont au nombre de cinq. Il y a l’obsession du sionisme, l’affirmation selon laquelle les juifs imposeraient « le culte de leur martyre à l’opinion », les Juifs exploiteraient la Shoah « à des fins mercantiles et politiques », et abrités derrière la Shoah, ils occulteraient leur participation à la traite des Noirs. Enfin, les juifs massacreraient les Palestiniens. Voilà ce que martèle Dieudonné depuis des années.

 

Selon vous qui avez adopté un rôle d’observateur méticuleux,quels sont les facteurs principaux de la réapparition de cet antisémitisme en public ?

 

Il y d’abord la survivance des stéréotypes. Ils sont d’autant plus dangereux que la plupart des gens ne connaissent pas les juifs. Cela remonte à plusieurs siècles. La deuxième chose: il y a eu une dédiabolisation très forte de l’antisémitisme, lors de la conférence contre le racisme à Durban en septembre 2001. Un certain nombre d’ONG se sont déchaînés : « un juif une balle », « Israël = apartheid », etc. Durban est un point de départ. Par ailleurs, le sentiment d’hostilité à Israël, exacerbé par les affrontements au Proche-Orient, est un autre facteur. Surtout qu’il est doublé d’une identification de jeunes Français à la cause palestinienne. Il ne s’agit pas d’un discours structuré, mais il y a là un glissement naturel de l’antisionisme vers l’antisémitisme. Le dernier facteur sans doute concerne l’identification à la cause palestinienne dans la communauté musulmane. On a une gêne à en parler en France, embarrassés à l’idée de dénoncer les actes antisémites sous prétexte que certains auraient pu être commis par des musulmans. En ce qui nous concerne, nous pensons que, quand un individu agit au nom d’une religion ou d’une identité pour porter préjudice à un autre individu en raison de sa religion, le public doit en être informé. Ceci étant, nous tenons à éviter des amalgames. Il serait injuste de faire porter à l’ensemble de la communauté arabo-musulmane les violences perpétrées par des « brebis galeuses ». Elles ont d’ailleurs été influencées par des discours et des prêches, dans des réunions privées, certaines mosquées fondamentalistes. Ces prêcheurs de haine essayent d’entraîner les jeunes déstructurés et paumés. Enfin, j’ajouterai l’extrême-droite qui est toujours aussi nocive. Or, autour de Dieudonné, nous trouvons plusieurs passerelles d’extrême droite et individus gravitant autour d’elle, ils sont animés par une haine féroce des Juifs.

 

Article publié dans le no 1284 d’Actualité Juive paru jeudi 9 janvier 2014.

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