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La France face à sa part d’ombre au camp des Milles

Le Premier ministre a inauguré le mémorial créé dans l’ancien camp d’internement et de déportation.

Abraham Ajgengolg ; Golda Ajgengold ; Jacques Altmann ; Marie Altmann… Qu’elle est longue, cette froide et terrible litanie de noms qu’une jeune fille à la voix claire égrène lentement devant un millier de personnes debout et silencieuses. Hilda Safran ; Suzy Schaechter ; Jürgen Schild… Un à un, les 96 enfants et adolescents déportés vers Auschwitz depuis la petite gare des Milles, entre août et septembre 1942, sortent publiquement de l’oubli. Dans l’assistance, parmi les premiers rangs, une vieille dame élégante, l’avant-bras tatoué, s’assoit et s’essuie les yeux.

C’était hier après-midi aux Milles, petit hameau un peu à l’écart d’Aix-en-Provence où le Mémorial du camp d’internement venait d’être officiellement inauguré, en présence du Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, et de ses ministres de l’Éducation, de la Culture, de l’Enseignement supérieur, des Affaires sociales et des Anciens combattants. Une présence marquée de l’État saluée par Alain Chouraqui, président de la Fondation du camp des Milles-mémoire et éducation : “C’est un pas historique pour la France, la reconnaissance d’un Vel d’hiv’ du Sud, d’un lieu-témoin qui prend ici le relais des témoins eux-mêmes.”

Entre 1939 et 1942, dix mille personnes ont été internées dans la tuilerie des Milles, par la IIIe République d’abord, qui y a parqué, dès la guerre déclarée, des ressortissants allemands et autrichiens -qui, pourtant, avaient le plus souvent fui le nazisme. Par le régime de Vichy ensuite, qui ira jusqu’au pire, la déportation vers le camp de la mort d’Auschwitz de deux mille juifs internés aux Milles. “L’histoire du camp des Milles est une histoire française, a reconnu le Premier ministre dans son discours. Il a constamment été placé sous autorité française. (…) Dans la France de Vichy, l’antisémitisme, ancré dans une partie de la société française, devient un antisémitisme d’État. (…) Le camp des Milles, comme d’autres camps de la zone non occupée devient l’un des rouages de cette politique du déshonneur.”

Au fil de la visite du mémorial, la délégation ministérielle a pu rencontrer d’anciens internés et déportés. Dont ceux qui, les premiers, ont rêvé d’un mémorial au camp des Milles, au début des années 80, alors que le site, encore propriété du groupe Lafarge – il a depuis été racheté par le Mémorial de la Shoah. Louis Monguilan, résistant et déporté à Mauthausen, Denise Toros-Marter, rescapée d’Auschwitz, et Sydney Chouraqui, ancien FFL : tous étaient là hier pour voir l’aboutissement de trente années de bagarres visant à convaincre partenaires publics et privés de l’intérêt du projet.

Un projet qui ne s’arrête pas à la mémoire. “Ce qui rend ce lieu unique, considère Alain Chouraqui, c’est son aspect de réflexion sur les mécanismes qui mènent au pire. Dans tous les grands génocides, arménien, tzigane, Shoah, rwandais, ces mécanismes sont à l’œuvre et notre ambition est de dépasser le plus jamais ça pour aller jusqu’au comment plus jamais ça.” Autant dire que l’annonce officielle faite par Jean-Marc Ayrault de la mise en place “prochaine d’un comité interministériel sur le racisme et l’antisémitisme” a pris un écho tout particulier entre les murs de l’ancien camp d’internement et de déportation. “Il est important que la parole de l’État s’affirme pour rappeler ce que nous sommes, nous, la France, avec nos valeurs laïques et de vivre ensemble”, a précisé le Premier ministre. À cet égard, une visite au Mémorial du camp des Milles vaudra bien des cours d’instruction laïque.

 

La Provence, 11 septembre 2012.

 

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