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La résistance au FN entre en ville

Associations délaissées, populations discriminées, terrains accaparés… des antiracistes se sont réunis à Fréjus pour disséquer les «cent jours» au pouvoir du parti d’extrême droite.

Drôle de maquis. Une salle de mariage située au beau milieu de la zone industrielle de Fréjus, dans le Var. C’est là, à l’appel du Forum républicain, de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) et de SOS Racisme, que les comités de vigilance des onze villes dirigées par le FN se sont rassemblés. Avec pour mission de dresser un premier bilan des édiles frontistes et de jeter les bases de la résistance.

Devant une centaine de convives, des militants, membres d’associations ou simples citoyens ont tour à tour pointé l’augmentation des effectifs des polices, les coupes dans les subventions aux associations et une libération de la parole raciste. Expulsion de la Ligue des droits de l’homme à Hénin-Beaumont, suppression de la gratuité de la cantine pour les plus démunis au Pontet, arrêté interdisant de suspendre le linge à Béziers, tout le monde avait bien sûr en tête les mesures abondamment relayées. Un peu moins «la gestion clanique» et l’irruption de membres du Bloc identitaire dans les cabinets municipaux. «Feriez-vous confiance, pour passer une très importante commande, à une société qui vient d’être créée, qui n’a ni adresse réelle, ni téléphone, ni mail ou site internet ?» interroge d’emblée Christophe Ravallec, du Forum républicain. La salle rigole. «Eh bien David Rachline l’a fait.»

Pétition. Peu après son élection, le maire de Fréjus a en effet confié l’audit de la ville à la Financière des territoires, une société fondée par son ami Clément Brieda trois jours avant le premier tour. Au prétexte de déficit à résorber, Rachline a depuis sabré dans les subventions accordées à certains centres sociaux, notamment ceux des quartiers populaires. Début juin, il a ordonné l’ouverture d’une enquête publique en vue de céder des terrains communaux, dont un square de 2 300 m2, dans le quartier résidentiel de Villeneuve. Une pétition circule depuis pour sauver cet espace vert. «Il est en train de se mettre tout le monde à dos», observe Elsa Di Méo, candidate défaite aux municipales à Fréjus et fondatrice du Forum républicain.

Circonspects devant pareille politique urbaine, des militants locaux expliquent vouloir «combattre sur le terrain judiciaire». A Mantes-la-Ville, la seule mairie frontiste d’Ile-de-France, «les subventions à toutes les associations seront amputées d’un cinquième, explique Romain Carbonne, venu en bus avec les militants de l’UEJF. Cyril Nauth ne s’attendait pas à être élu. Pour l’instant, il tient bon sur sa seule promesse : tenter d’empêcher la réhabilitation d’une salle de mosquée.»

Dans les villes frontistes plus petites, les membres des comités naissants se disent sur leur garde. D’après la militante Laure Cordelet, fondatrice du rassemblement citoyen de Beaucaire, le maire, Julien Sanchez, reste pour l’instant très discret. Excepté une baisse de la subvention accordée au centre social et culturel et quelques piques adressées à des associations, l’édile n’a pas encore pris de «mesure grave susceptible de réveiller les gens». Son image passe même plutôt bien : «Il est urbain, très pointu sur les dossiers. Les vieilles dames en sont dingues. Elles se pomponnent avant d’aller le voir au conseil municipal.»

Au Luc, où le maire, Philippe de La Grange, compose encore avec le budget de la municipalité précédente, le bruit court que des subventions vont être coupées. «Mais c’est peut-être aussi une stratégie. S’il ne les coupe pas, il passe pour le gentil»,explique le militant Roger Depierre. A ses côtés, le communiste Jean-Pierre Bernardi raconte avoir reçu une lettre anonyme «odieuse» juste après avoir tenu une conférence de presse avec SOS Racisme. Il en relatera, quelques minutes plus tard, le contenu – «appris par cœur» – devant une salle écœurée.

Dépolitisation. Fondé en avril, le Forum républicain de Fréjus, qui compte près de 120 adhérents, est pour l’heure le moteur de cette résistance qui s’organise. Dimanche midi, attablés à l’étage de la salle de mariage, les membres des comités présents discutaient de la stratégie à suivre. Ils devraient se réunir tous les six mois dans l’une de ces villes. Et prévoient une action fin septembre lors des journées d’été du Front national de la jeunesse à Fréjus. Mais tous savent que la principale difficulté réside dans la dépolitisation des citoyens. «Le message des gens, c’est : “Attendez, il faut les laisser faire. Le FN n’a pas encore eu sa chance.” C’est très difficile de répondre à ça», admet Marie-José de Azevedo, coprésidente du Forum.

«On a été enfoncé idéologiquement»,martèle Jean-Pierre Bernardi, qui sait de quoi il parle. Au premier tour, sa liste n’a récolté que 16%.«Commençons par résoudre les problèmes sociaux, et on inversera peut-être la courbe…» Dans ces villes où le FN règne, il y a là matière à débat. «Je ne crois plus que régler la question sociale suffira à faire baisser le vote FN», concédait, troublée, Elsa Di Méo. Sous-entendant que la question identitaire doit elle aussi être abordée.

Libération, 30 juin 2014

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