La mise en place de la solution finale,
Voyage de la Mémoire 2004, Union des Etudiants Juifs de France.
- L’organisation du système répressif nazi
Nous ne reviendrons pas ici sur les fondements de l’idéologie nazie en tant que paroxysme du racisme biologique. Nous nous contenterons de rappeler les différentes étapes qui ont conduit à la mise en œuvre de cette entreprise d’extermination systématique du peuple juif.
1933-1936 ; La genèse du système concentrationnaire et « l’exclusion légale »
A peine un mois après sa prise du pouvoir (par des voies parfaitement légales), Hitler a trouvé dans l’incendie du Reichstag, organisé par Goering et faussement attribué à des militants communistes, le prétexte pour poser les premières bases juridiques de l’édifice concentrationnaire.
Le 28 février 1933 est promulguée une « Ordonnance pour la protection du peuple et de l’Etat » qui autorise l’emprisonnement quasi arbitraire des opposants politiques placés sous « contrôle préventif » (Schutzhaft) pour des motifs dits de « sécurité publique ». La « loi des pleins pouvoirs » votée le 24 mars 1933 instaure la dictature en permettant au gouvernement de passer des lois sans le concours du Parlement. En moins de 5 mois, plus de 26 000 personnes sont ainsi arrêtées et enfermées dans des Lager dont le plus grand, Dachau qui se trouve près de Munich, fonctionnera jusqu’à la fin de la guerre. Ces mesures visent principalement, avant 1936, les opposants politiques allemands au régime.
Mais, dès le mois d’avril 1933 la population juive voit se matérialiser les imprécations antisémites contenues dans les discours du Führer et déjà présentes dans son pamphlet autobiographique publié en 1921 « Mein Kampf ». Le NSDAP (Parti national-socialiste des travailleurs allemands ; parti Nazi) organise le 1er avril le premier boycott des magasins juifs. Quelques jours plus tard les premières lois d’exclusion de la fonction publique sont votées. Elles seront rapidement accompagnées de mesures similaires visant toutes les catégories professionnelles. De même, le quota d’étudiants juifs est limité à 5%. L’égalité légale des Juifs est ainsi abrogée.
Une loi, promulguée en juillet 1933 autorisant la stérilisation forcée de certains patients ouvre la voie à une « opération Euthanasie » sur la base de critères raciaux ; l’Opération T4 (cf. infra). On estime, à la fin de la guerre, à 40 000 le nombre de personnes victimes de cette pratique qui a touché en priorité les « malades héréditaires », les « criminels irrécupérables et dangereux » et une partie importante de la population Tzigane.
Les années 1935 et 1936 introduisent une radicalisation de la politique nazie dans une optique de plus en plus ouvertement militaire. Les boycotts de l’été 1935 souvent accompagnés de manifestations de violence antisémite, précèdent de nouvelles lois visant à l’exclusion définitive des Juifs de la vie sociale. Les Lois de Nuremberg votées entre septembre et novembre 1935 privent les Juifs de leurs droits civiques (loi sur les citoyens). Les derniers fonctionnaires, médecins, avocats, enseignants et Professeurs sont licenciés. Des mesures vexatoires contribuent à les marginaliser dans de nombreux aspects de la vie publique. La « loi sur la protection du sang et de l’honneur allemand » instaure un « délit contre le sang » qui punit tous les rapports sexuels entre Juifs et Aryens. Ces lois définissent comme Juif celui qui a au moins trois grands-parents juifs. Cette définition est biologique et non religieuse ; le fait que la pratique de la religion n’entre pas en considération, explique que de nombreux convertis de longue date et des « demi-sang » ou Mischlinge aient eu à subir l’oppression du régime nazi. Ces mesures ne provoquent que peu de réactions d’indignation de la part de la société civile allemande (ni d’ailleurs de la part de la société internationale), pourtant, tous les Allemands sont dans l’obligation de prouver leurs antécédents aryens.
La société est par ailleurs de plus en plus encadrée, le parti nazi s’impose à tous les niveaux de la vie politique, sociale et culturelle. La police politique (Gestapo créée dès 1933) assure l’omniprésence et l’hégémonie du parti unique. L’embrigadement de la jeunesse dans les « Jeunesses hitlériennes » diffuse dans la société le Führer prinzip selon lequel le Chef (Führer, guide) ne peut avoir tort. La culture, enfin, devient avec Goebbels un instrument de propagande privilégié utilisé pour justifier la politique du gouvernement.
1936-1939 ; militarisation de la société et aryanisation de l’économie.
« Du boycottage à l’épuration » [1]
A partir de 1936, Hitler engage un programme de réarmement actif du pays (malgré l’interdiction faite à l’Allemagne par du traité de Versailles 1919). L’élimination des S.A. en 1935 (Sections d’Assaut, favorables à une révolution sociale radicale) lors de la « nuit des longs couteaux » lui permet d’obtenir le soutien des grands entrepreneurs qui avaient jusque là manifesté de la méfiance à son égard. Les préparatifs de la guerre relancent l’activité économique déprimée par la grande crise. Hitler se rallie à la vision de Goering qui souhaite mettre l’univers concentrationnaire naissant au service de l’effort économique. Ainsi, à partir de 1936 de grands Stammlagers sont construits à proximité des centres industriels : Sachsenhausen-Orianenburg (1936), Buchenwald (1937), Flossenbürg (1938), Mauthausen (après l’Anschluss avec l’Autriche en 1938) et Ravensbrück (camp pour les femmes, ouvert en 1939). Outre les opposants politiques et les criminels de droit commun, les mesures d’internement touchent toutes les catégories sociales jugées nuisibles à la pureté de la race ; homosexuels, prostitués, psychopathes, asociaux, Témoins de Jéhovah, Rom et Sinti (avec une distinction tout de même entre ces deux groupes tziganes puisque certains théoriciens allemands considèrent que les Sinti sont indo-européens et donc plus proches des Aryens que les Roms). Ecartés de la société civile, ils constituent une main d’œuvre servile que l’idéologie prétend réhabiliter par le travail. Il était courant de trouver à l’entrée d’un camp l’inscription « Arbeit Macht Frei » (le travail rend libre) comme c’est le cas devant le camp de Sachsenhausen ou à l’entrée de Auschwitz 1 (camp de concentration). Cette idée sera totalement absente des camps d’extermination où l’objectif n’était pas la rééducation mais bien l’extermination d’un peuple, enfants et vieillards compris.
Les historiens distinguent généralement trois phases, entre 1933 et 1939 qui marquent l’évolution et les différents niveaux de l’exclusion des Juifs et qui aboutiront, avec l’entrée en guerre contre l’URSS en 1941, à l’élimination physique systématique.
– exclusion civique et politique entre 1933 et 1935,
– exclusion sociale sur la base de critères biologiques entre 1935 et 1938,
– exclusion économique en 1938-1939.
Le 12 novembre 1938 une première ordonnance pour « l’expulsion des Juifs de la vie économique » légalise l’expropriation des biens de la communauté juive et notamment des entreprises contrôlées par des Juifs (plus de 25% du capital ou 50% des droits de vote). La politique d’aryanisation forcée sert les intérêts économiques mais aussi politiques du régime puisque les biens confisqués sont en partie redistribués (ou revendus à bas prix) aux classes moyennes allemandes. Les Juifs ont l’interdiction d’exercer une quelconque activité professionnelle.
Ainsi, du moins dans un premier temps, tout est fait pour les pousser à émigrer (même si le prix exigé par les autorités est exorbitant et que toutes les frontières leur sont fermées, comme le confirme la Conférence d’Evian). Pourtant, près des deux tiers des Juifs d’Allemagne (525 000 personnes en janvier 1933, 185 000 en septembre1939) sont parvenus à émigrer avant le début de la guerre. Mais l’idéologie nazie ne peut se satisfaire de cette exclusion politique et sociale. La propagande prépare la population en distillant l’idée que la seule solution est la « solution finale du problème juif» c’est à dire l’élimination physique, la séparation d’avec ce corps étranger qui, tel un cancer pourrit le tissu vigoureux du corps aryen.
« Partout où les rats surgissent, ils causent la ruine du pays, détruisant les biens et la nourriture des hommes. C’est ainsi qu’ils propagent des maladies telles que la peste, la lèpre, le typhus, le choléra, etc. Ils sont sournois, peureux et cruels et apparaissent la plupart du temps en bandes. Ils représentent parmi les animaux l’élément de destruction perfide et souterrain. Exactement comme les Juifs parmi les hommes. »
Extrait de « Der ewige Jude » documentaire de propagande filmé par l’Intendant du cinéma du Reich, Fritz Hippler.
Des mesures d’expulsion sont prises avec l’expulsion du territoire de 20 000 Juifs arrivés en Allemagne après 1918. Repoussés vers la frontière polonaise, ils sont maintenus dans des conditions dramatiques. Parmi ces Juifs, se trouvait la famille Grynszpan dont le fils, pour attirer l’attention sur le sort déplorable de ces « apatrides » assassinera le conseiller d’Ambassade à Paris, Von Rath. En représailles à cet assassinat, les nazis organisent un terrible pogrom dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938. Lors de cet évènement qui prendra le nom de Nuit de cristal, toutes les synagogues de Berlin sont brûlées ou saccagées. Une centaine de Juifs sont tués dans les rues et 36 000 sont envoyés dans les camps de concentration allemands.
En janvier 1939 Hitler annonce dans un discours au Reichstag « l’anéantissement de la race juive en Europe » en cas de guerre.
- La « destruction des Juifs d’Europe »
1939-1941 ; la ghettoïsation, première phase de la guerre contre « l’ennemi interne »
De la séparation physique à l’élimination de masse
Le 1er septembre 1939, l’Allemagne envahit la Pologne et occupe la partie qu’elle s’était arrogée par partage dans le Pacte secret de non-agression signé quelques semaines plus tôt (en août 1939) avec l’URSS. Cette invasion modifie en partie la vision du « problème juif ». Plus de 3 millions de Juifs vivent en Pologne, l’émigration forcée en dehors des territoires contrôlés par le Reich ne semble plus réaliste. La Pologne sous contrôle nazi est divisée entre la partie occidentale incorporée au Reich et le Gouvernement général administré par Hans Frank (ainsi que le Warthegau dont le statut est particulier). Suivant la logique d’extension de l’espace vital, le Lebensraum, les nazis expulsent les Juifs des territoires incorporés (qui deviennent Judenrein c’est-à-dire débarrassé des Juifs) vers le Gouvernement général à l’Est. L’idée est de concentrer les Juifs dans le district de Lublin afin d’y créer une Judenreservat (une réserve juive). Mais, avec la défaite de la France, une autre solution est pour un temps, envisagée ; Eichmann est chargé par Heydrich de mettre en place le Plan Madagascar qui prévoit la relocalisation de tous les Juifs dans l’île dès que les Anglais auront été vaincus.
Dès septembre 1939, le plan de regroupement des Juifs dans des ghettos est défini et redoutablement mis en œuvre entre 1940 et 1941. Les Juifs, déjà marqués par l’étoile jaune, dont le port devient obligatoire à partir de novembre 1939, sont ainsi regroupés et entassés dans des quartiers surpeuplés interdisant tout contact avec l’extérieur. Des Conseils juifs (Judenrat) chargés d’administrer le ghetto ainsi qu’une Milice juive sont crées pour servir de relais entre la population et les autorités nazies. Il est important de les distinguer clairement des collaborateurs dans les pays occupés car, contrairement à eux, les Juifs du Judenrat ou de la police du ghetto n’étaient pas libres et n’agissaient pas par idéologie mais plutôt dans l’espoir de pouvoir adoucir le sort de leurs coreligionnaires ou du moins celui de leur propre famille[1].
Parallèlement, en Allemagne est menée l’Opération T4 (dont le nom n’est autre que la contraction de l’adresse du premier centre dans lequel elle a été pratiquée, Tiergartenstrasse n°4) qui conduit à l’euthanasie par le gaz de près de 100 000 malades mentaux, en un an et demi, dans les centres de Hadamar, Grafeneck, Sonnenstein, Linz, Brandenburg et Bernburg[2]. La protestation de la population allemande qui s’exprime par la voix de Mgr Gallen Evêque de Munster contribue à faire cesser cette euthanasie (bien qu’elle ait continué à être pratiquée plus discrètement et à moindre échelle). Mais c’est surtout l’entrée en guerre contre l’URSS par le déclenchement de « l’Opération Barbarossa » en juin 1941 qui explique la décision d’Hitler de mettre fin à l’Opération T4 et de concentrer ses forces sur l’élimination (Vernichtungskrieg guerre d’anéantissement) de l’ennemi judéo-bolchevique qui menace l’Allemagne de l’intérieur surtout avec l’occupation des territoires d’Europe de l’Est qui s’ouvrent à l’avancée allemande.
1941-1944 ; La Solution finale.
Des massacres organisés perpétrés par les Einsatzgruppen à l’extermination systématique dans les camps d’extermination
Dès juin 1941, Hitler concentre ses troupes sur le front de l’Est où l’armée rouge, prise au dépourvu subit de lourdes pertes humaines et territoriales. Les prisonniers de guerre soviétiques seront internés dans les camps de concentration sur le territoire polonais dans des conditions épouvantables, le nombre de ces camps ne cessant d’augmenter entre 1941 et 1942. Parallèlement à l’avancée militaire, mais un peu en retrait par rapport à celle-ci, Himmler met progressivement sur pieds des unités spéciales les Einsatzgruppen. Quatre commandos de Einsatzgruppen (A, B, C et D) sont répartis sur tout le front qui s’étend de la Lituanie à l’Ukraine. Leur objectif est l’élimination des communautés juives qui parsèment ce territoire et « gangrènent l’espace vital ». Il s’agit, pour reprendre l’expression de Raul Hilberg dans son livre de référence La destruction des Juifs d’Europe (Fayard 1985) « d’opérations mobiles de tuerie » qui organisent des pogroms à grande échelle et à répétition.
« La population juive capturée par les Einsatzgruppen, en majorité des femmes, des enfants et des vieillards (de nombreux hommes ont été incorporés dans l’Armée rouge), est rassemblée à l’écart de la bourgade ou de la ville. Auparavant, un détachement de « travailleurs juifs » avait été emmené creuser des fosses communes tandis qu’un cordon policier se déployait autour du village ou du quartier (…) les victimes juives emmenées de force au point de rassemblement s’y déshabillent, et se tenant au bord de la fosse, elles sont assassinées par vagues successives sous le feu roulant du commando… »[3]
Mais la méthode des Einsatzgruppen, même si elle se perfectionne, pose des problèmes, non pas éthiques, mais pratiques aux dirigeants nazis ; dans un premier temps, aucune précaution n’était prise pour cacher ces exécutions de masse à la population locale, au contraire, il semblerait que de nombreux notables aient été autorisés à y assister comme s’il s’était agit d’un spectacle et parfois même à y participer directement comme à Kovno (Kaunas). Par ailleurs, les charniers brûlant plusieurs jours d’affilée étaient souvent visibles de loin, comme à Babi Yar, dans les environs de Kiev où il a fallu trois jours pour exterminer la quasi-totalité des Juifs de Kiev ( près de 35 000 morts entre le 28 et le 30 septembre 1941), les populations se plaignaient également de la pollution des eaux par les cadavres et le sang, et de l’air par la fumée et l’odeur. Les autorités sont également confrontées à un autre problème qui est celui de la réadaptation sociale des hommes qui ont fait partie de ces Einsatzgruppen ; l’alcool étant devenu pour eux une ressource presque vitale qui leur était abondamment fournie tandis que la corruption et les pillages désorganisés, allant à l’encontre de la discipline S.S., irritent les autorités du Reich. Dans son livre Des hommes ordinaires Christopher Browning rapporte les massacres commis par le 101éme bataillon de réserve de l’armée allemande alors qu’ils n’étaient ni embrigadés ni forcés. Très peu d’Allemands ont refusé de prendre part à ces tueries, et ceux qui l’ont fait n’ont pas été sanctionnés mais simplement tenus à l’écart lors des opérations, auxquelles la plupart ont tout de même fini par prendre part.
Entre un million et un million et demi de Juifs ont ainsi été assassinés par les Einsatzgruppen.
A la fin de l’année 1941, la Vernischtungskrieg (guerre d’anéantissement) prend une nouvelle dimension. Ce qui, du fait de l’étendue du territoire soviétique et de la dispersion des communautés juives, justifiait des « opérations mobiles » perd son sens sur le territoire polonais où la très forte concentration de Juifs dans les centres urbains rend plus « rationnel » leur regroupement dans des «centres d’extermination ».
La Conférence de Wannsee reportée au mois de janvier 1942 du fait de l’entrée en guerre des Etats-Unis en décembre 1941, ne fait que formaliser devant les cadres du régime l’idée de la Solution finale du problème juif. En réalité, dès le mois de novembre 1941, le camp de Chelmno non loin de Lodz est mis en place. Son fonctionnement est à plusieurs égards très particulier, les Juifs du Warthegau y sont gazés dans des camions par émission de gaz d’échappement[4]. Les camions à gaz, unités mobiles, n’étaient pas utilisés dans les autres camps qui ont peu à peu installé des structures fixes d’extermination massive.
Avec l’arrêt de l’Opération T4 en Allemagne, les techniciens et administrateurs qui avaient participé à cette opération d’élimination des malades mentaux par le gaz, ont été envoyés en Pologne, (comme c’est très bien montré dans le film Amen de Costa-Gavras 2002), pour résoudre des problèmes de désinfection au sein de l’armée et qui contribueront à la mise en place des structures d’extermination massive de population par le gaz.
Deux mois après la conférence de Wannsee, c’est-à-dire à partir de mars 1942 débute l’Aktion Reinhard (du nom de Reinhard Heydrich qui en est l’instigateur et qui a été entre-temps abattu par la résistance tchèque). Elle vise à mettre en place les trois centres d’extermination (Belzec, Treblinka et Sobibor) dans lesquels les Juifs sont immédiatement tués par l’utilisation des chambres à gaz. Le but unique de ces camps est la mort immédiate et systématique de tous les Juifs (femmes, enfants et vieillards en priorité). Ces camps, mis en place sous le contrôle du Général S.S.Globocnik et du capitaine S.S. C.Wirth, sont à distinguer des camps de concentration disséminés sur le territoire allemand et polonais et dont le but n’est pas la mort systématique mais la mort par l’épuisement. Seuls deux camps sont mixtes ce qui signifie qu’ils pratiquaient l’extermination systématique mais également la concentration des déportés, ce sont les camps de Auschwitz-Birkenau et Majdanek, où était pratiquée une Sélection qui accordait un « sursit » et une parenthèse de survie dans le camp à seulement 10% (en moyenne) des déportés.
– Mars 1942, le camp de Belzec est activé y sont envoyés les Juifs de Galicie et de la région de Lvov
– Avril-mai, c’est au tour de Sobibor à la frontière avec la Biélorussie
– Juillet, Treblinka entre en fonction avec l’épuration du ghetto de Varsovie (de juillet à septembre 1942).
Ces camps n’ont fonctionné qu’un an, les structures d’extermination et les quelques baraques qui forment le camp sont démantelées à l’automne 1943. En moins de 18 mois, près de un million et demi de Juifs en majorité polonais sont gazés dès leur arrivée au camp. A Belzec, ce sont près de 600 000 Juifs à un rythme de 5 000 par jour. Aujourd’hui il ne reste pratiquement aucune trace de ce massacre. A Sobibor, ce sont 250 000 Juifs, pas uniquement polonais (des Hollandais, Français, Slovaques et surtout pratiquement tous les Juifs de Vilna en Lituanie et de Minsk en Biélorussie qui étaient des grands centres du judaïsme ashkénaze d’avant guerre) sont exterminés. Le 14 octobre 1943, les 300 Juifs du Sonderkommando (commando spécial travaillant dans la structure d’extermination, qui sont les seuls détenus vivants, dans le camp, avec ceux travaillant au ‘Kanada’, zone de stockage des effets personnels) se révoltent, 200 parviennent à s’échapper, seulement 30 à survivre. Le camp est aussitôt détruit. 10 S.S. ont été tués[5].
Treblinka et la révolte du ghetto de Varsovie.
A Varsovie, où avant la guerre, un tiers de la population était juive, il ne reste plus en juillet 1942 dans le ghetto que 380 000 Juifs. Le 22 juillet débute la grande rafle du ghetto. Adam Czerniakow, président du Judenrat avait alors été sommé par les Allemands de livrer les 6 000 premiers Juifs qui partiraient de la gare de l’Umschlagplatz. Le 23 juillet au soir, ayant refusé de signer l’ordre de déportation, Czerniakow se suicide. Le 12 septembre, on a pu dénombrer 300 000 personnes déportées à Treblinka pour y être immédiatement gazées. L’Organisation Juive Combattante (O.J.C. ou ZOB selon les initiales polonaises Zydowska Organizacja Bojowa), se constitue immédiatement mais elle ne dispose d’aucuns moyens, d’aucune structure et la lutte quotidienne pour la survie dans le ghetto dans un climat de rafles quotidiennes rend pratiquement impossible toute action concertée. Pourtant, en janvier 1943, l’Organisation oppose aux nazis une première action de résistance. Mais c’est en avril alors que les Allemands préparaient la seconde opération de nettoyage du ghetto, qu’a lieu le soulèvement du ghetto de Varsovie. Il ne reste plus à ce moment dans le ghetto qu’une poignée de Juifs très faiblement armée (les armes achetées à prix d’or à la résistance polonaise sont souvent obsolètes et les munitions font cruellement défaut). Le 19 avril 1943, sous le commandement de Mordechai Anielewicz, débute l’insurrection. Elle durera jusqu’au 8 mai 1943 ce qui en soi constitue une victoire pour des Juifs qui n’avaient absolument aucun espoir devant des SS aidés par des Lettons et des Ukrainiens surentraînés et bénéficiant d’un armement lourd et sophistiqué. Le ghetto est progressivement brûlé et finalement entièrement rasé. Le commandement de l’OJC retranché dans le Bunker de la rue Mila n°18 encerclé par des chars allemands, choisit le suicide Les archives du ghetto conservées et recueillies scrupuleusement par Emmanuel Ringelblum et son cercle culturel Oneg Shabbath sont une source précieuse pour la connaissance de l’histoire du ghetto. Le ghetto de Varsovie n’est pas le seul à s’être révolté, à Minsk, à Vilno et à Bialystok (et d’autres), des révoltes similaires ont éclaté dès 1942 avec la même force du désespoir et aussi la même conscience absolue et froide que la survie était impossible. Le 02 août 1943, le Sonderkommando de Treblinka se révolte à son tour. Pour Marek Edelman, seul survivant aujourd’hui des chefs de l’OJC, se révolter était tout au plus « choisir sa façon de mourir ».
Auschwitz-Birkenau
Le camp d’Auschwitz est crée le 27 avril 1940 sur le site d’une ancienne caserne militaire proche d’un nœud ferroviaire important à 50 de km de Cracovie, dans la ville de Oswiecim. Rudolf Höss qui commandait jusque là le camp de Sachsenhausen, est chargé de la direction du nouveau camp. Les prisonniers de guerre soviétiques, les Polonais suspectés d’appartenir une organisation résistante constituent, la première année, la principale population concentrationnaire. Avant 1942, Auschwitz ne diffère en rien d’un camp de concentration pour prisonniers politiques. En mars 1941, Himmler ordonne l’agrandissement du camp sur le site du village voisin de Brzezinka (Birkenau ou Auschwitz II) un troisième camp est construit en avril 1941 pour servir l’usine IG Farben qui utilise cette main d’œuvre servile et corvéable à merci (Buna-Monowitz ou Auschwitz III).
Une première expérience de gazage au Zyklon B sur les prisonniers soviétiques a lieu dans le sous-sol du Block 11 de Auschwitz (I) le 03 septembre 1941. La première chambre à gaz est construite à Auschwitz I. En février 1942, arrivent les premiers convois de Juifs (Haute Silésie, Slovaquie) dans le camp de Birkenau. Débutent alors les opérations de mise à mort dans des chambres à gaz installées dans d’anciennes fermes qui deviennent en mars 1942 le Bunker 1 (la « maison « rouge ») et en juin le Bunker 2 (la « maison blanche »). A partir de juillet 1942, les Juifs envoyés à Birkenau sont sélectionnés par un médecin (le médecin en chef étant le Docteur Mengele) à la descente du train, sur la Judenrampe. Environ 20% des déportés entrent effectivement dans le camp pour y travailler, les autres étant envoyés directement à la chambre à gaz. Le camp de Birkenau s’agrandit rapidement, au printemps 1943, quatre « complexes de mort » ou Krématorium sont construits pour rendre plus efficace la machine de mort industrialisée. Ces usines de mort réunissent ; chambre de déshabillage, chambre à gaz, chambre d’entrepôt des corps et fours crématoires. Avec les Krema II, III, IV et V, Birkenau devient le plus grand centre de mise à mort jamais imaginé. Par ailleurs, à la différence des camps de l’opération Reinhard (Treblinka, Sobibor et Belzec) Birkenau est également un camp de concentration pour la minorité de déportés sélectionnés (temporairement) pour le travail. C’est avec Majdanek, le seul camp mixte de ce type. Cet immense camp a ainsi pu loger près de 150 000 personnes en même temps. Par ailleurs, Auschwitz-Birkenau devient le centre d’exécution principal des Juifs provenant de toute l’Europe. Le réseau ferroviaire acheminant des Juifs dans des wagons à bestiaux s’élargit. Au printemps 1944, pour faire face de manière plus efficace à l’afflux massif de Juifs hongrois (qui avaient été jusque là épargnés par le régime collaborationniste de Horthy), Höss ordonne la construction d’une voie ferrée jusque dans l’intérieur du camp. A peu près 400 000 Juifs hongrois seront ainsi tués entre mai et juillet 1944 (le Bunker 2 a même dû être temporairement réactivé).
Le camp de Auschwitz-Birkenau est libéré le 25 janvier 1945 par les troupes Soviétiques qui n’y trouvent que quelques déportés affamés et moribonds. Le 18 janvier, devant l’avancée Soviétique, les Allemands décident de faire évacuer le camp pour amener les déportés dans des camps en Allemagne. Plus de 60 000 personnes sont ainsi évacuées à pied. L’épuisement, la faim et le froid (d’un des hivers les plus froids qu’ait connue la Pologne) font des milliers de victimes abattues par les SS aux premiers signes de faiblesse, pendant ces quelques jours de marche, nommée par la suite Marche de la mort. Les déportés ont été répartis par la suite dans des camps en Allemagne (notamment Bergen Belsen, Buchenwald, Ravensbruck, Mauthausen) d’où ils seront libérés trois mois plus tard par les troupes anglo-américaines. Le fait que ces déportés aient été trouvés par les Alliés dans des camps de concentration a alimenté longtemps la confusion, véhiculée notamment par les images de la Libération, entre déportés politiques et déportés raciaux et entre camps d’extermination et camps de concentration.
Environ 1 300 000 Juifs sont morts dans les chambres à gaz d’Auschwitz-Birkenau et 150 000 sont morts de maladie, faim et mauvais traitements.
Si ce crime a malheureusement touché avant tout les Juifs, il n’en concerne pas moins l’humanité dans son ensemble car à Auschwitz c’est la dignité de l’homme que l’on a voulu transformer en fumée. La mort industrialisée organisée par un appareil d’état, n’est pas une parenthèse, un “détail”, ou une erreur dans le cheminement linéaire de l’histoire, mais c’est bien l’aboutissement d’un processus historique et d’un enchaînement de causes. C’est en cela que le “devoir de vigilance” doit être accompagné d’un travail de mémoire, pas tant pour les générations passées que pour les générations à venir.
[1] Cf. Les Carnets d’Adam Czerniakow qui était le Président du Judenrat de Varsovie et qui s’est suicidé au moment de la grande rafle du ghetto.
[2] Cf. la première partie du film Amen de Costa-Gavras
[3] In Histoire de la Shoah de Georges Bensoussan, Que sais-je, PUF, 1996
[4] Le court métrage de Januscz Morgenstern Ambulanz qui s’inspire de l’histoire de Janusz Korczak mais en le situant à Chelmno, illustre cette « méthode » d’une manière à la fois bouleversante et juste.
[5] Voir à ce sujet le film de Claude Lauzmann Sobibor